Révision de la Loi sur les pêches: le Canada est-il prêt à renouer avec la science?

Bordé par trois océans et couvert de plus de deux millions de lacs et rivières, le Canada a toujours été un pays où la pêche a eu une place importante. Le secteur des pêches et de l’aquaculture génère des exportations estimées à plus de 6 milliards de dollars par année, emploie plus de 80 000 personnes et fait vivre des régions entières à travers le pays. La mise en place d’une pêche durable comporte toutefois des défis, y compris pour le Canada. Le moratoire sur la pêche à la morue il y a 25 ans à Terre-Neuve et les baisses récentes des quotas de crevettes dans le golfe en sont des exemples.
Malgré les efforts récents du gouvernement fédéral, le déclin des populations de poissons dans les eaux canadiennes continue, et les personnes qui en dépendent sont toujours à risque. Ainsi, nous, scientifiques spécialisés dans le milieu marin, les pêches et l’écologie, désirons, à la lumière des connaissances scientifiques dans ces secteurs, soulever des problèmes importants que pose la Loi sur les pêches.
Depuis 1985, les pêches sont régies par la Loi sur les pêches. Ce cadre légal, qui vise une gestion durable des activités de pêche, a été très affaibli dans la dernière décennie. Prétextant vouloir diminuer le fardeau administratif des projets pouvant avoir des impacts sur l’environnement des poissons, le gouvernement Harper a, en 2012, apporté des modifications importantes à la loi. Du jour au lendemain, les espèces de poissons sans intérêt commercial direct ont perdu leur protection légale, et la notion d’habitat a été simplement retirée de la loi. Allant à l’encontre des connaissances scientifiques et d’une approche de gestion écosystémique des pêches, ces décisions ont été sévèrement condamnées par la communauté scientifique canadienne et internationale.
En 2015, lorsqu’il a été élu, le gouvernement libéral a exprimé son intention d’améliorer le cadre de gestion des pêches au Canada. Dans cette optique, la lettre de mandat du ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne propose de rétablir le financement destiné aux programmes de sciences, de mieux s’appuyer sur les connaissances scientifiques pour décider comment gérer les stocks de poissons et les écosystèmes et de rétablir les mesures de gestion et de protection éliminées en 2012.
La communauté scientifique des pêches a suivi ces événements politiques avec un mélange d’espoir et d’anxiété. Le mois dernier, des experts canadiens ont produit un rapport faisant une synthèse de recommandations scientifiques afin de guider le gouvernement dans le processus de révision de la loi. Il est impératif que la nouvelle version de la loi, attendue dans les semaines à venir, soit basée sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles pour permettre au Canada d’assurer une gestion plus durable de ses pêches.
Trois principes
Ainsi, les représentants politiques et les gestionnaires des pêches canadiennes devraient considérer trois principes lorsqu’ils réviseront la Loi sur les pêches.
Premièrement, comme spécifié dans le mandat ministériel, les protections supprimées en 2012 doivent être restaurées. Les recommandations faites par le comité parlementaire doivent aussi être mises en oeuvre, dont une protection pour toutes les espèces de poissons et le rétablissement d’une protection complète des habitats.
Deuxièmement, une pêche durable n’est possible qu’en la présence d’évaluations fiables des stocks de poissons. Un rapport publié en 2016 par Oceana indique que la santé de près de la moitié des stocks canadiens ne peut être évaluée en raison de l’absence de données fiables. Ces données sont pourtant indispensables à la création de stratégies efficaces pour le rétablissement de populations halieutiques à risque ou en déclin et pour comprendre les impacts possibles des changements climatiques et de l’acidification des océans. Comment savoir si les limites de capture établies sont durables sans savoir combien il y a de poissons ? À ce jour, la morue de l’Atlantique, qui a été placée sous le moratoire de la pêche en 1992, n’a toujours pas de plan de reconstruction — un fait qui a « étonné » le Comité permanent des pêches et des océans. Mentionnons également les incertitudes provenant des interactions écosystémiques et de stresseurs multiples qui sont d’autres exemples illustrant le besoin critique de connaissances scientifiques pour informer la gestion des pêches. Cela demandera des investissements financiers et une utilisation plus fréquente du principe de précaution lors des décisions.
Troisièmement, l’intention de réformer la législation sur les pêches ne doit pas être compromise par des incohérences avec d’autres lois ou par l’absence de données. Par exemple, lorsque le gouvernement approuve un projet pouvant avoir un impact sur les habitats des poissons, un suivi transparent et rigoureux doit être fait pour s’assurer que ledit projet est conforme au droit de l’environnement en vigueur, sans compter que les résultats de ces évaluations devraient être mis à la disposition du public.
Bien que le gouvernement fédéral possède maintenant une feuille de route pouvant l’aider à mieux gérer ses pêches, une fondation légale solide et basée sur des connaissances scientifiques est nécessaire. Les décisions qui seront prises dans les mois qui viennent affecteront les Canadiens pour des générations à venir. Nous espérons que le gouvernement ayant promu depuis le début l’importance d’une gestion basée sur les connaissances scientifiques confirmera son discours par des actes qui mèneront à un meilleur avenir pour le secteur des pêches canadiennes.
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