La Catalogne, un mouvement indépendantiste moderne et territorial

Les images de brutalité de la part des policiers espagnols pendant le référendum catalan, une expérience de violence politique inégalée depuis les années franquistes, ont vraiment bouleversé le continent. […] Mais qu’est-ce que la Catalogne ? Bref, qu’est-ce qu’une nation ? Ah, quelle vieille question, surtout en français !
Je rejette l’idée que l’appartenance nationale ne veuille rien dire à l’ère de la mondialisation, tout comme je rejette une définition de la nation qui fusionne cette appartenance avec une appartenance ethnique, raciale ou linguistique. La normalisation de la langue catalane a joué un rôle énorme dans l’expérience de modernité en Catalogne, et je n’oserai pas minimiser cet apport. Le pays a vécu une expérience très proche du Québec dans le domaine de l’éducation, de l’administration gouvernementale et de l’expression publique. Mais la situation n’est pas exactement analogue, et la langue espagnole reste présente dans la vie quotidienne catalane (le recensement 2017 nous apprend que 99,7 % des Catalans sont capables de parler espagnol ; pour la langue catalane, ce pourcentage est de 80,4 %).
Même parmi ceux qui se considèrent comme « Catalans d’abord », la langue espagnole est un élément essentiel de la vie quotidienne, ce qui, en comparaison, est inimaginable pour la langue anglaise et l’identité québécoise contemporaine. Si jamais une République catalane venait à voir le jour, ce serait une vraie république, c’est-à-dire non simplement une république de la langue catalane, mais une république des Catalans, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Diverses migrations
On trouve un écho dans l’expérience catalane de la migration, qui comprend deux « générations » distinctes. La première concerne une migration interne. Plus particulièrement dans les années 60, des Espagnols du Sud (notamment de l’Andalousie) sont partis en grand nombre pour le Nord, plus riche, même si, dans ce Nord, les gens parlaient une langue différente. Ces Andalous sont « devenus Catalans », à l’image des Irlandais au Québec, qui, au XIXe siècle, sont « devenus Québécois », contrairement aux Écossais. Pour les adultes migrants, nés en Andalousie, ce n’était pas toujours le cas.
Mais dans l’époque postfranquiste, s’agissant des enfants scolarisés en langue catalane parmi d’autres enfants catalans, c’est toute une autre histoire. Les deux dernières décennies (plus ou moins) ont vu une migration externe, composée de Latino-Américains qui, traditionnellement, s’intègrent plus souvent dans une communauté espagnole, mais aussi de Marocains et d’Africains subsahariens, ainsi que de ressortissants d’Europe de l’Est, qui n’arrivent pas avec la langue espagnole et qui ont tendance à s’intégrer, comme les Andalous, à travers l’identité catalane. Une vidéo produite par l’organisme gauchiste República des de baix a présenté des images d’un homme africain arborant un t-shirt sur lequel on pouvait lire « Référendum oui ! », et d’une femme vêtue d’un hidjab, tous deux dénonçant, en langue catalane, des personnes présentées dans la vidéo comme étant liées au « régime de 78 ».
Comme au Québec, on a souvent vu des indépendantistes diabolisés et qualifiés de « nationalistes ethnolinguistiques ». Des nationalistes, oui, mais la question ethnique, comme dans le mouvement indépendantiste écossais, n’est pas au centre des enjeux, et la situation linguistique est extrêmement complexe. Comme dans tous ces mouvements, la dimension ethnolinguistique existe et elle joue un rôle parfois implicite et difficile à voir. Mais la « passion référendaire » en Catalogne a révélé un mouvement indépendantiste vraiment moderne, et probablement un modèle pour ceux qui suivront : territorial avant tout, soutenu par la mobilisation, et séculaire au sens taylorien, c’est-à-dire défini par ce que Charles Taylor a appelé (dans L’âge séculier et Modern Social Imaginaries) « les temps profanes » (« profane time ») et non par les récits d’éternité ou de transcendance. Bref, on a vu, peu importent les résultats du référendum ou la répression étatique qui veut le détruire, l’émergence complète d’un mouvement moderne.