Catalogne: indépendance impossible, statu quo improbable

Le président catalan Carles Puigdemont, au centre, discute avec les membres de son cabinet. Après de vaines tentatives d’obtenir un référendum d’autodétermination négocié avec l’État espagnol, le gouvernement catalan a décidé d’organiser le 1er octobre prochain un référendum unilatéral.
Photo: Lluis Gene Agence France-Presse Le président catalan Carles Puigdemont, au centre, discute avec les membres de son cabinet. Après de vaines tentatives d’obtenir un référendum d’autodétermination négocié avec l’État espagnol, le gouvernement catalan a décidé d’organiser le 1er octobre prochain un référendum unilatéral.

Malgré les attentats du 17 août dernier, le président de la Generalitat a maintenu sa feuille de route vers l’indépendance de la Catalogne. Après de vaines tentatives d’obtenir un référendum d’autodétermination négocié avec l’État espagnol, le gouvernement catalan a décidé d’organiser le 1er octobre prochain un référendum unilatéral qui ne comportera qu’une seule question, soit : « Souhaitez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous forme de République ? »

Le choix du référendum unilatéral s’est déjà traduit par la démission de quatre ministres de la Generalitat et de plusieurs de ses directeurs généraux, peu disposés à en affronter les conséquences pénales et patrimoniales. Leur remplacement par des sécessionnistes déterminés s’inscrit dans une stratégie de rupture d’avec l’Espagne que confirme l’adoption par le Parlement catalan de la loi sur le référendum et de celle sur la transition juridique destinée à créer un ordre légal nouveau en violation de la Constitution espagnole et du droit international.

Trois dispositions de la loi sur le référendum reflètent la détermination des indépendantistes de s’affranchir de la légalité espagnole : le caractère contraignant du résultat du référendum — autrement dit, l’indépendance sera déclarée si le Oui l’emporte, et cela, quel que soit le taux de participation — ; la création d’un régime juridique « exceptionnel » destiné à garantir la tenue du référendum ; la protection juridique de ceux qui organisent la consultation ou mettent en oeuvre son résultat. Dans ces conditions, l’annulation de cette loi par la Cour constitutionnelle restera en théorie sans effet. L’État espagnol traverse sa plus grave crise depuis la tentative de coup d’État de 1981.

Situation de blocage

 

Pourtant, la radicalisation de la Generalitat et des partis indépendantistes et l’immobilisme du gouvernement central quant à la question catalane sont des impasses stratégiques. L’indépendance unilatérale est impossible et le statu quo paraît improbable. Comment en est-on arrivés à une situation de blocage et peut-on la faire évoluer ?

La question de l’ancrage de la Catalogne en Espagne n’est pas nouvelle, et l’Histoire montre sa permanence dans le temps à des degrés divers. Nous sommes face à un conflit de longue durée même s’il a pris des profils différents selon les époques et parfois une extraordinaire dureté aux XVIIIe et XXe siècles. Mais pendant plus de trente ans (1978-2012), la Catalogne a été gouvernée par des partisans de l’autonomisme renforcé. Pourquoi la région est-elle passée au début du XXIe siècle de l’autonomisme au sein du système institutionnel espagnol à l’indépendantisme sécessionniste et à une stratégie d’affrontement avec Madrid ?

Quatre raisons majeures expliquent cette évolution : d’abord, l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2010, qui a vidé de sa substance novatrice le Statut d’autonomie de 2006 ; en second lieu, le niveau de transfert des ressources fiscales de la Catalogne vers l’État central ressenti comme inacceptable ; ensuite, le refus de Rajoy opposé aux demandes d’Artur Mas en 2010 de réviser le modèle de financement de la région et, en 2014, d’organiser un référendum d’autodétermination ; enfin, l’effondrement électoral du catalanisme modéré de centre droit et le renouvellement générationnel des dirigeants politiques plus indépendantistes que leurs prédécesseurs.

Choc institutionnel

 

Les indépendantistes qui ont remporté les élections régionales de 2015 appartiennent à des formations politiques de force inégale, concurrentes et divergentes sur la conception de l’État indépendant (et de la République !) : d’une part, la liste Junts pel Si (62 députés sur 75), composée du Parti démocrate européen catalan (ex-CDC), en net recul électoral au profit de son partenaire la Gauche républicaine catalane (ERC), d’autre part, la Candidature d’unité populaire (CUP), parti anticapitaliste et antieuropéen dont les voix des dix députés sont indispensables pour atteindre la majorité absolue.

L’immobilisme du gouvernement central d’un côté et la radicalisation des indépendantistes de l’autre préparent les conditions d’un choc institutionnel. Toutefois, les sondages montrent que les Espagnols, dont les Catalans en premier lieu, ne sont pas partisans de l’usage de la force. Pour l’instant, M. Rajoy ne l’est pas plus et il continuera sa politique de « judiciarisation » de la vie politique catalane.

Pour éviter le maintien de tensions durables entre Barcelone et Madrid, les deux parties doivent adopter la stratégie de l’action raisonnable. Même si l’État parvient à empêcher la tenue du référendum, il serait logique que le gouvernement central (les partis politiques) s’attelle à résoudre la question catalane.

Un pacte est possible s’il a un projet véritable pour la Catalogne dans le cadre d’une révision du modèle territorial de l’Espagne. Sans attendre, il peut revoir les modalités de financement de la Catalogne en les alignant sur celles du Pays basque, lui allouer les investissements publics nécessaires à son développement économique, et revenir au statut d’autonomie de 2006. Dans cette perspective, la position radicale des indépendantistes sera intenable, et le souverainisme modéré pourra reprendre la main, d’autant que la société catalane est divisée sur l’indépendance.

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