La loi 101, un bilan en demi-teinte et un avenir incertain

«La loi 101 n’a pas d’emprise sur la volonté des locuteurs de s’exprimer en français ici au Québec», affirme Mme Beaudoin.
Photo: Télé-Québec «La loi 101 n’a pas d’emprise sur la volonté des locuteurs de s’exprimer en français ici au Québec», affirme Mme Beaudoin.

Le 26 août 2017 marque le 40e anniversaire de l’adoption de la loi 101 au Québec. Pour l’occasion, Le Devoir a invité cette semaine différentes personnalités à réfléchir à l’histoire de cette loi et à son influence. Cette série se termine aujourd’hui.

Le quarantième anniversaire de la Charte de la langue française offre autant de raisons de se réjouir que de se désoler, si l’on prend la peine de faire un bilan réaliste des effets de cette loi fondatrice et, malheureusement, de ses limites.

Tantôt édulcorée et charcutée par la Cour suprême, tantôt démonisée par les uns, célébrée par les autres, la loi 101, du moins ce qu’il en reste, demeure aujourd’hui souvent incomprise par le Canada anglais. De surcroît, faut-il le rappeler, le gouvernement fédéral refuse toujours de s’y conformer ou même de faire en sorte que les entreprises constituées en vertu des lois du Canada, telles les banques, y soient assujetties dans leurs activités au Québec.

Avant de devenir aux yeux de Stéphane Dion une « grande loi canadienne », la Charte aura été l’objet des plus virulentes critiques de la part de tout l’establishment, des gens d’affaires et des fédéralistes à peu d’exceptions, et ce, dès sa première mouture. Lors des discussions qui ont mené à son adoption s’était constitué un groupe qui écrivit au premier ministre René Lévesque et à son ministre Camille Laurin, père de la Charte, pour s’y opposer vigoureusement. Les signataires demandaient d’entrée de jeu « est-il nécessaire de recourir à une loi ? » et répondaient évidemment par la négative à leur propre interrogation.

Ce groupe, dit des 326, affirmait dans sa missive : la loi « nuira au développement économique et donnera libre cours à l’intolérance tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Québec ». Parmi les signataires, on retrouve le « who’s who » francophone issu de la grande entreprise, dont Paul Desmarais, Daniel Johnson, Lucien Rolland, André Bisson, Jean de Grandpré ainsi que des personnalités d’autres milieux : Claude Ryan, Claude Castonguay, Thérèse Casgrain et même Jean Béliveau (mais pas Maurice Richard, qui était pour !).

Relèvement de la majorité

 

En guise de réponse à ce groupe, tout comme aux critiques du Parti libéral du Québec, auquel ils s’identifiaient pour la plupart, Lévesque rappelait — tout juste avant l’adoption du projet de loi à l’Assemblée nationale — qu’il fallait légiférer parce qu’« il y a une situation d’infériorité économique de la collectivité française du Québec, infériorité que l’histoire lui a imposée ». Le gouvernement, ajoutait-il, devait voir, notamment grâce à cette loi linguistique, au « relèvement économique de cette majorité que nous formons au Québec ». Les élus du Parti québécois votèrent en faveur du projet de loi et ceux des oppositions votèrent contre, à l’exception de Fabien Roy.

Cette grande victoire, saluée par une forte majorité de Québécois, a fait du français non seulement la langue de l’« ethnie canadienne-française », mais bien la langue publique commune de tous les citoyens du Québec. En ce sens, la loi 101 a « désethnicisé » le français, il est capital de le noter. C’est une loi inclusive, une loi pour tout le monde.

Le Parti libéral du Québec, qui l’avait conspuée, l’a finalement récupérée et défendue un temps, sous Robert Bourassa, non sans en avoir payé le prix, en 1989, avec la création du Parti égalité, qui était appuyé par ses membres et électeurs outrés de le voir recourir à la clause dérogatoire pour préserver le caractère français de l’affichage commercial.

Fin du consensus

 

Aujourd’hui, la donne a changé et le consensus a vécu. Les partis politiques présents à l’Assemblée nationale divergent sur l’analyse de la situation : le PLQ prône le statu quo au nom de la paix linguistique (en attendant d’être en mesure de reculer sur différents fronts ?), QS souhaite de timides réformes, la CAQ de profonds changements, et le PQ plaide pour une refonte complète.

Il en va de même dans la population. La relative unanimité par rapport aux acquis de la loi 101 que l’on pouvait constater il y a quelques années n’existe plus. Il y a, en effet, au-delà de la minorité anglophone, un courant chez les allophones et chez les francophones mêmes visant à « affranchir » ou à « libérer » les Québécois de ce « collectivisme linguistique », soutenu par ceux qui voient — à tort — dans la Charte un obstacle au bilinguisme individuel et, dans leur esprit, au succès économique, en même temps qu’une atteinte à la célébration continue du multiculturalisme, ou encore une entrave sur la voie permettant d’accéder à l’« Universel », qui ne peut se faire, selon eux, qu’en anglais.

C’est en prenant en considération le chapitre sur la langue d’enseignement de la loi 101 qu’on trouvera le plus de raisons de voir le verre à moitié plein. Jusqu’en 1977, les enfants des nouveaux arrivants étaient pour la plupart scolarisés en anglais. Grâce à la Charte, qui les oblige à fréquenter l’école française, ils parlent français, mais la francisation n’est qu’un des éléments, fondamental certes, de l’intégration. Il devient de plus en plus clair avec le temps, d’une part, que les transferts linguistiques demeurent toujours outrageusement favorables à l’anglais et que, d’autre part, l’intégration culturelle et socio-économique plus large se fait difficilement.

Le très mauvais exemple venu de France

 

Évidemment, la loi 101 n’a pas d’emprise sur la volonté des locuteurs de s’exprimer en français ici au Québec et encore moins ailleurs.

En France, les élites, le président Macron en tête, n’hésitent pas, dès qu’elles le peuvent, à utiliser l’anglais, à défaut de parler la novlangue. C’est ainsi qu’au Québec, pendant la campagne présidentielle, l’équipe Macron distribuait sans gêne des autocollants unilingues anglais « Yes, we march ». La France a depuis longtemps délaissé ses obligations de promotion et d’utilisation du français dans les institutions internationales, à commencer par l’Union européenne, où l’anglais est roi, même en cette heure de Brexit. C’est sans parler de la candidature parisienne pour les Jeux olympiques, défendue par le slogan « Made for sharing ». Pour ces élites, le français n’est qu’une langue régionale et non plus une des dix grandes langues internationales parlées sur les cinq continents. On comprend donc que c’est en Afrique que se jouera le salut de la langue française. Son avenir dépendra des décisions que prendront un certain nombre de pays du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Pour l’instant, le Maroc et la Tunisie ont réitéré leur appui au français comme langue seconde, alors que le Rwanda est passé à l’anglais. Ailleurs, dans de vastes pays comme la République démocratique du Congo, la situation est incertaine et fragile.

Qu’importe, en ce 26 août 2017, il est essentiel de rappeler que la Charte de la langue française a profondément modifié le Québec. Où en serait le français aujourd’hui chez nous si le gouvernement de René Lévesque avait reculé devant les pressions et les accusations de racisme et de nazisme qui fusaient ? Le temps a prouvé que les visionnaires étaient du côté des Lévesque et Laurin et non de l’opposition. Le français au Québec a en partie repris ses droits et sa place. Chacun d’entre nous a cependant une responsabilité dans le maintien du statut et de la qualité de la langue française en Amérique. Or, avons-nous encore collectivement cette volonté de vivre en français ? On peut en douter, particulièrement à Montréal.

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