Définir une identité québécoise commune et inclusive

Quel bilan pouvons-nous faire de la loi 101 en éducation ? Qu’en est-il de ces « enfants de la loi 101 » ?
Un impact clair pouvant être attribué à l’adoption de la loi 101 est le renversement de la tendance qu’avaient les élèves allophones à fréquenter l’école de langue anglaise. En 2012-2013, 87,5 % des allophones étudiaient dans les écoles de langue française alors que ce pourcentage s’élevait à 4,6 % en 1971-1972. La fréquentation du secteur anglais par les allophones a par conséquent connu une baisse importante. En 1971-1972, 85,4 % des élèves allophones étudiaient en anglais — cette proportion s’élevant à 12,5 % en 2012-2013.
La loi 101 a donc fait de l’école de langue française l’espace commun de scolarisation pour les élèves issus de l’immigration et ceux de la majorité francophone. C’est sous l’effet de la loi 101 que le secteur francophone a réellement fait face au défi de l’accueil et de l’intégration linguistique des élèves nouvellement arrivés.
Dans le quotidien scolaire, en matière d’usages linguistiques, le bilan s’avère plutôt positif selon les enquêtes. Le français domine les échanges informels entre les élèves à l’extérieur de la salle de classe. En ce qui a trait à la réussite aux épreuves ministérielles en français en 5e secondaire, les jeunes issus de l’immigration ont un taux de réussite élevé, relativement similaire à celui de l’ensemble des élèves. Les « enfants de la loi 101 » sont plus enclins à utiliser le français dans la sphère publique après avoir fréquenté les écoles de langue française. Ils optent pour les cégeps francophones dans une proportion d’environ 70 % et se dirigent davantage vers des milieux de travail francophones.
De manière générale, les élèves et leurs parents sont d’accord avec la loi 101. L’acquisition du français est vue de manière positive, comme un atout sur le marché du travail. Les jeunes issus de l’immigration développent ainsi un rapport stratégique au français — la langue française étant perçue comme un « outil », voire un gage d’insertion professionnelle.
Mais les « enfants de la loi 101 » s’identifient-ils au Québec ou comme Québécois ?
« Nous » versus « Eux »
Les recherches menées dans les 20 dernières années montrent clairement une frontière entre « jeunes issus de l’immigration » et « francophones québécois ». Les jeunes issus de l’immigration, de 1re et de 2e génération, s’identifient davantage à leur pays d’origine et au Canada qu’au groupe francophone québécois. Il leur semble plus facile de s’identifier à l’« identité canadienne », une identité qu’ils jugent plus inclusive. Ils se sentent exclus du « Nous québécois », de par leurs interactions en milieu scolaire et extrascolaire. Ils ne se sentent pas reconnus et inclus par les membres du groupe majoritaire ; il leur semble alors impossible de se définir comme étant des « vrais Québécois », ceux qu’ils appellent les « Québécois de souche ». Et cette frontière s’avère d’autant plus vive pour les jeunes issus des communautés noire et musulmane. Ces résultats permettent de constater que l’école québécoise n’a pas encore réussi à devenir un espace de production d’appartenance au Québec et aux Québécois.
Ces constats invitent à réfléchir à la définition de l’identité « québécoise », une définition qui ne semble pas tout à fait encore définie au sens civique — du moins dans les interactions quotidiennes. Ils permettent de réfléchir aux effets de la loi 101 et au mandat de l’école francophone québécoise, une école qui valorise officiellement une approche prônant un savoir-vivre ensemble dans une société démocratique et pluraliste où le français constitue la langue publique commune. Or, les frontières intergroupes révélées par la recherche laissent à penser qu’il y a encore du travail à effectuer sur le plan des pratiques scolaires.
Définir une identité québécoise
Plusieurs défis interpellent l’État québécois : reconnaître les effets des rapports d’exclusion sur les jeunes et définir une identité « québécoise » commune et inclusive qui puisse arriver à rassembler la jeunesse québécoise. Réfléchir aux manières de favoriser les rapports intergroupes constitue une piste, tant du point de vue des politiques officielles, du programme de l’école québécoise que des pratiques en milieu scolaire. En ce sens, des pistes d’action devraient être mises en place de manière plus systématique dans les écoles pour favoriser davantage de contacts intergroupes, intensifier les rapports harmonieux avec les « francophones québécois ».
La formation initiale des enseignants et des directions d’école devrait aborder davantage les rapports intergroupes entre «immigrants» et «non immigrants» et les moyens de favoriser des rapprochements entre tous les élèves afin d’éviter des rapports d’exclusion. Plusieurs approches novatrices en matière d’accueil de la diversité linguistique et ethnoculturelle, notamment dans le champ de la didactique des langues et dans le champ de la psychologie sociale, ont été définies par les chercheurs du Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM) et pourraient être mises à profit dans l’ensemble des écoles québécoises.