L’islam est-il responsable de la violence islamiste?

«Les recherches montrent que les quiétistes qui basculent dans la violence sont rares, tant leur éthos idéologique rejette le terrorisme djihadiste», soulignent les auteurs.
Photo: Bandar Aldandani Agence France-Presse «Les recherches montrent que les quiétistes qui basculent dans la violence sont rares, tant leur éthos idéologique rejette le terrorisme djihadiste», soulignent les auteurs.

Qu’y a-t-il dans le Coran et dans la Sunna prophétique qui autorise les djihadistes à se réclamer de l’islam, à scander le nom d’Allah chaque fois qu’ils commettent un attentat meurtrier ? Voilà une question légitime qui doit être posée et devant laquelle les communautés musulmanes ne peuvent se dérober.

Comment parler de l’islam et des communautés musulmanes dans ce contexte de violence terroriste, mais aussi de discours haineux, sans être immédiatement catalogué comme islamophobe ou « islamophile » ? André Glucksmann formulait ce dilemme discursif ainsi : comment ne pas céder ni à l’amalgame qui fait de l’islam un problème en soi, ni à l’angélisme qui déconnecte le terroriste djihadiste de toute base idéologique religieuse ?

Les explications scientifiques du processus d’engagement violent au nom de l’islam ne s’entendent pas sur la place qu’il faut accorder à la religion musulmane dans l’équation de la radicalisation. Tantôt l’islam est présenté comme le vernis religieux, le prétexte facile pour justifier à postériori des positions violentes, tantôt il est analysé comme la matrice fondatrice des actions violentes.

Pour les tenants de cette dernière théorie, le modèle explicatif de la radicalisation islamique proviendrait des doctrines littéralistes de l’islam, en l’occurrence le salafisme. Cette explication se fonde dans un premier temps sur la dimension belliqueuse de la religion musulmane dont le prophète, contrairement à d’autres messagers, était un chef de guerre qui a mené, au nom de Dieu, plusieurs batailles et razzias.

Cette orientation d’analyse se base également sur plusieurs versets du Coran qui prônent sans ambiguïté la violence. C’est à partir de tels versets que les théologiens ont élaboré le concept de djihad sur lequel s’articule l’engagement des djihadistes contemporains. Si le terme djihad ne renvoie pas en langue arabe à l’idée de guerre ou de violence, mais plutôt à celui d’effort, il a subi une capture sémantique dans le langage courant qui en a fait un synonyme de violence au nom de l’islam, surtout depuis que certains doctrinaires de l’islam contemporain l’ont forgé dans ce sens.

Salafisation

 

Il est de plus en plus convenu que la violence djihadiste trouve ses racines aujourd’hui dans une idéologie salafisante de l’islam. Par salafisation de l’islam, il est entendu la tentative d’une partie de la cléricature musulmane de revenir aux fondamentaux de l’islam à travers une approche littéraliste du Coran. Cette perspective établit un continuum entre salafisme et djihadisme.

Selon une lecture linéaire et graduelle de la radicalisation, la radicalisation religieuse constituerait la première étape vers la radicalisation violente, à partir d’un continuum entre pratiques religieuses ultra-orthodoxes et violence. Plusieurs enquêtes de terrain dont les nôtres donnent une certaine assise à ce modèle explicatif. Les personnes interrogées ont justifié leur engagement violent au nom du corpus islamique. Même si la plupart ne sont pas férus de théologie islamique, ils ont néanmoins la capacité de recourir à des préceptes religieux pour expliquer leur départ ou leur tentative de départ vers la Syrie.

Peut-on dès lors parler de radicalisation de l’islam pour expliquer la violence islamiste ? Oui, mais avec nuance. D’abord, empiriquement, le lien n’est pas systématiquement établi. En effet, un bon nombre de radicalisés violents ne sont pas passés par la radicalisation religieuse ou n’ont pas été socialisés au sein de mouvements prônant un rigorisme islamique. L’exemple de Salah Abdeslam est édifiant à ce titre, lui qui a été décrit comme un personnage peu respectueux de l’orthopraxie islamique.

De plus, la radicalisation religieuse ne constitue pas de façon mécanique le prélude à la radicalisation violente. Parfois, elle peut être un frein ou un obstacle à la violence. En France, par exemple, la branche ultra majoritaire du salafisme, « le quiétisme », condamne de façon claire les attentats, qualifiant leurs auteurs de « chiens de l’Enfer », de takfiri (excommunicateurs) et de khawarîj (ceux qui sont sortis de l’islam).

Dans certains pays, le courant quiétiste est mobilisé pour contrer l’influence du djihadisme. Il suffit de consulter quelques sites salafistes pour trouver de multiples critiques contre les actions menées par Daech.

Les recherches montrent que les quiétistes qui basculent dans la violence sont rares, tant leur éthos idéologique rejette le terrorisme djihadiste. Leur condamnation de l’action violente est tellement forte que les djihadistes les traitent de talafiyyuns (ceux à éviter) et multiplient les critiques et les menaces à leur endroit, leur reprochant leur apolitisme excessif et leur absence de courage militant.

Débat figé

 

Théoriquement, les postures qui posent l’islam soit comme un « problème en soi », soit comme « une solution en soi » se fondent sur un postulat épistémologique essentialiste qui fige le débat. La posture « néo-orientaliste » qui s’enferme dans une vision de l’islam comme acteur central ou moteur de l’histoire des musulmans réduit ces derniers à des communautés monolithiques, statiques, dépourvues de rationalité et « régulées » et « agies » par leur religion. Cette posture fait face à son « pendant positif » que nous jugeons tout autant essentialiste et qui est souvent proclamé par des leaders religieux ou intellectuels musulmans qui présentent l’islam comme une religion ontologiquement pacifique, humaniste, tolérante et de raison.

Si l’on ne peut éviter d’interroger le Coran dans ses fondements, dans son passé et dans ce que l’islam apportait comme instrument d’émancipation ou de domination, il demeure cependant que la demande urgente de la forte majorité des musulmans, et surtout des musulmans de la diaspora, porte sur la capacité aujourd’hui du Coran d’autoriser une réflexion religieuse qui soit audible dans un contexte du vivre-ensemble fondé sur le respect de l’égalité des droits, de la liberté de croyance et sur le rejet sans ambiguïté de toute idéologie de la violence au nom de la foi. Il est demandé aux musulmans d’aujourd’hui de produire une interprétation du Coran qui ferme toute possibilité pour l’islamisme meurtrier de cheminer à côté du Livre saint.

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