Pour une médecine imbue de justice sociale

«Nous ne pouvons pas ignorer que les
Photo: iStock «Nous ne pouvons pas ignorer que les "victoires" de [Gaétan] Barrette lors de sa présidence à la FMSQ ont conduit à l’augmentation flagrante de la rémunération des médecins», écrivent les auteurs.

« La première tâche du médecin est donc politique : la lutte contre la maladie doit commencer par une guerre contre les mauvais gouvernements. »

— Michel Foucault, Naissance de la clinique

La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a tenu une assemblée générale exceptionnelle intitulée Opération Code rouge le 13 mai dernier au Stade olympique. L’image se veut éloquente : le système de santé québécois est assailli par les flammes, et la FMSQ veut voler à sa rescousse.

La FMSQ a tout à fait raison de s’opposer à la restructuration tous azimuts et décriée sur tous les fronts du système de santé du ministre Gaétan Barrette. Des médecins avaient déjà exprimé leurs inquiétudes et leur rejet des lois 10, 20 et 92. Mais c’est le projet de loi 130, avec sa remise en question de l’autonomie professionnelle des médecins, qui a finalement mené la FMSQ à une levée de boucliers culminant avec la mobilisation du 13 mai, dans un contexte où l’entente de la FMSQ avec le ministère de la Santé et des Services sociaux est expirée depuis mars 2015.

Le message véhiculé par l’Opération Code rouge dans les semaines précédant la mobilisation elle-même était centré sur la préservation de l’accès aux soins de santé pour la population. On ne peut rien reprocher à cette mission louable, mais cette rhétorique semble vide de sens lorsque l’on constate le manque d’engagement de la FMSQ envers des gestes gouvernementaux qui ont des impacts majeurs sur l’accès aux soins et sur le bien-être de la population ces dernières années.

Par exemple, en juin 2012, le gouvernement fédéral avait instauré des coupes massives au sein du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), privant ainsi des milliers de réfugiés et demandeurs d’asile à travers le pays de l’accès aux soins. Des regroupements de médecins se sont carrément mobilisés contre les coupes. La FMSQ s’est contentée de diffuser un communiqué exprimant une certaine inquiétude quant à l’impact sur la couverture de médicaments, mais sans dénoncer les coupes en tant que telles.

Au Québec, en 2015, les employés du secteur public ont mené d’intenses négociations avec le gouvernement afin d’améliorer leurs conditions de travail et leurs salaires. Alors que le regroupement Médecins québécois pour le régime public avait exprimé sa consternation devant les augmentations de revenu des médecins dans un contexte où les mesures d’austérité étaient appliquées aux autres travailleuses et travailleurs du secteur de la santé, la FMSQ n’a pas montré de solidarité tangible envers nos collègues.

Enfin, en novembre 2016, la loi 70 est adoptée à l’Assemblée nationale. Alors que cette loi vise officiellement à intégrer les demandeurs de l’aide sociale plus rapidement sur le marché de l’emploi, elle introduit une pénalité qui peut priver un prestataire d’un tiers de son allocation (allant de 628 $ à 404 $ par mois). Des médecins, notamment en psychiatrie, ont publiquement dénoncé cette approche punitive. La FMSQ s’est abstenue encore une fois d’intervenir.

Une opposition sans équivoque

 

Soyons clairs. En tant que médecins exerçant au Québec, nous sommes opposés sans équivoque à la vague de restructuration et de centralisation des pouvoirs menée par le ministre Barrette et le gouvernement libéral (notamment le projet de loi 130, mais aussi les lois 10 et 20), qui nuit au caractère universel et accessible du système de santé. Nous assistons quotidiennement aux efforts et au dévouement de nos collègues médecins envers leurs patients. Nous trouvons inacceptable l’effritement des conditions de travail des médecins québécois, qui sont surchargés, épuisés et découragés, et qui sont traités avec mépris et hostilité par le ministre Barrette. Nous trouvons également inadmissible ce même effritement des conditions de travail de toutes les personnes oeuvrant au sein de notre système de santé.

Cependant, nous ne pouvons pas ignorer la portée de gestes comme celui de mandater Lucien Bouchard pour représenter la FMSQ dans le cadre d’éventuels recours juridiques. Dans les années 1990, son gouvernement avait accéléré le démantèlement de notre système de santé, coupant massivement dans le réseau en introduisant le « virage ambulatoire » dans le cadre de sa politique du déficit zéro.

Nous ne pouvons pas ignorer que les « victoires » de M. Barrette lors de sa présidence à la FMSQ ont conduit à l’augmentation flagrante de la rémunération des médecins, accaparant une partie significative du budget du Québec (elle est passée de 5,7 % en 2006-2007 à 7,6 % en 2015-2016), menaçant ainsi la pérennité même du système de santé québécois.

Nous ne pouvons pas, en toute intégrité, répondre aux appels de la FMSQ pour sauver le système de santé, si ces appels ne s’appliquent qu’à ses propres intérêts, et tant qu’elle demeure silencieuse sur des enjeux majeurs pour la santé de la population québécoise, telles les attaques de gouvernements successifs contre les groupes les plus marginalisés de notre société.

Nous attendons donc le jour où la solidarité prônée par la FMSQ ne s’appliquera pas qu’aux médecins spécialistes, mais bien à l’ensemble de la population du Québec. Nous nous réjouirons quand la FMSQ se distanciera de la voie syndicale corporatiste instaurée durant la présidence de M. Barrette, afin de se démocratiser et de s’attaquer aux réformes draconiennes imposées par ce dernier en tant que ministre de la Santé en faisant front commun avec les autres groupes qui s’y opposent. Si le but est de sauver le système de santé, la FMSQ doit absolument opter pour une approche solidaire plutôt que solitaire.


*Ont aussi signé : 
Amir Khadir, microbiologiste-infectiologue, Montréal ; Catherine Dea, santé publique et médecine préventive, Montréal ; Chi-Minh Phi, pédiatre, Montréal ; Francis Livernoche, pédiatre, Sherbrooke ; Jennifer Turnbull, urgentologue pédiatrique, Montréal ; Marie-Hélène Lizotte, pédiatre, Rimouski ; Matthew Weiss, intensiviste pédiatrique, Québec ; Michèle Mahone, interniste, Montréal ; Yasmine Ratnani, pédiatre, Montréal. Les auteurs aimeraient également souligner les contributions de Dror Warschawski et Guillaume Hébert à ce texte.

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