Rien n’a changé à Molenbeek, vraiment?

Le déclencheur
« Pour les sociologues, Molenbeek est une sorte de “ hub ”. Ceux qui réussissent quittent rapidement le quartier. »— Christian Rioux, «Un an après les attentats de Bruxelles, rien n’a changé à Molenbeek», Le Devoir, 18 mars 2017
À l’approche du triste anniversaire des attentats de Bruxelles, je me réjouissais de découvrir, le samedi 18 mars, un texte sur Molenbeek, commune à côté de laquelle j’ai grandi. Quelle fut ma déception en lisant un article qui favorise une lecture « alternative » des faits ! Désolée de vous contredire, Monsieur Rioux, des choses ont changé dans cette commune bruxelloise.
Il s’agit d’un portrait bien tronqué de Molenbeek qui se dessine dans l’article par les témoignages choisis. Des librairies, il y en a peu, c’est vrai. C’est également le cas dans bien d’autres quartiers bruxellois touchés par la crise que traverse la presse écrite en Belgique. Quant à la protection du patrimoine belge, et le snack de la place qui ne vend pas de bières (et c’est là réduire à bien peu l’héritage culturel belge), ne soyez pas dupé, de nombreuses autres brasseries de la commune s’attellent à la tâche.
Je ne cherche pas à effacer le fait que Molenbeek a été le berceau de nombreux terroristes. Je souhaite seulement exposer son histoire, ses raisons et ce que cette commune devient aujourd’hui.
Avant même la dernière vague d’immigration, Molenbeek était déjà une commune pauvre et délaissée. C’est sans surprise que beaucoup d’immigrés, eux aussi laissés à leur sort, se retrouvent dans cette commune. Ces personnes subissent des discriminations à l’embauche (une étude menée à l’ULB démontre qu’un jeune d’origine arabe ou africaine a trois fois moins de chances de trouver un emploi que son homologue d’ascendance belge) et se retrouvent au chômage. Cette situation compliquée déclenche un repli identitaire qui mène parfois à la radicalisation.
Déséquilibre identitaire
Ces jeunes ont vécu en marge de la société belge et loin de leur terre d’« origine », qu’ils n’ont parfois pas connue. Se crée alors un déséquilibre identitaire sur lequel les islamistes radicaux jouent. C’est un sentiment que peuvent ressentir de nombreuses autres personnes issues de l’immigration, et les réactions seront aussi diverses que leur nombre. Alors lorsque l’article se permet de comparer les Roms (qui réagiront par plus de désobéissances civiles telles que le vol ou le flânage) et la communauté musulmane immigrée en Belgique, cela n’a pas de sens. Le développement d’un tournant radical qu’a pu prendre l’islam est le fruit du travail du gouvernement saoudien qui a financé des organisations telles que le groupe État islamique notamment en matière de propagande. Cet aspect politique n’est pas présent chez d’autres groupes communautaires issus de l’immigration.
Malheureusement, il aura fallu attendre les attentats à Paris en novembre 2015 pour que l’État prenne vraiment au sérieux la menace de radicalisation et qu’enfin de nombreux projets soient mis en place.
L’un de ceux-ci vient d’ailleurs du Québec. En janvier 2015, je rencontrais le ministre-président Rudy Demotte, venu ici dans le but de prendre connaissance des méthodes québécoises, reconnues par l’UNESCO comme les plus efficaces, concernant la prévention de la radicalisation. Le 3 mai 2016, le directeur du Centre de prévention de la radicalisation signait un partenariat avec le directeur de l’observatoire bruxellois pour la prévention. Une des idées appliquées est la mise en place de lignes téléphoniques non reliées à la police, ce qui permet à des membres d’une famille d’appeler à propos d’une personne approchée par des radicaux sans craindre des répercussions policières.
La police aussi réagit. C’est le cas avec l’installation récente d’un couvre-feu près de la station de métro Beekkant qu’évoque l’article. La raison ? Un réseau de trafic de drogues (non relié aux mouvements radicaux) a pris place à cet endroit et les habitants ont demandé à ce que la police instaure le couvre-feu.
D’autres projets sont nés de ces habitants, souvent des personnes de confession musulmanes. Que ce soit les écoles, les brasseries d’art qui ouvrent, les musées qui proposent des formations ou encore des ateliers organisés par la commune, il y a une mobilisation citadine.
Des choses ont changé depuis les attentats du 22 mars à Bruxelles. Bien sûr, l’État pourrait faire plus. Et bien sûr, les résultats ne seront pas visibles de sitôt, car tout changement prend du temps à s’installer.
Par cette lettre, j’essaye de faire ma part en ce triste anniversaire, en partageant l’histoire de Molenbeek si médiatisée, mais aussi celle de ma commune, voisine, Anderlecht, et de tant d’autres places en Belgique qui auront pris beaucoup trop de temps avant de réagir avec inclusion.