Les jumelages interculturels comme pont entre les communautés

«Il faut trouver des moyens d’accélérer les contacts et les rencontres. Plus les gens se côtoient, plus les différentes craintes s’estompent. » (Le Devoir, samedi 4 février 2017)
Au Québec, plusieurs groupes travaillent à créer des moyens concrets afin de mettre en oeuvre cette proposition de M. Charles Taylor. Des groupes communautaires encadrent l’installation et l’intégration des nouveaux arrivants en les jumelant avec des membres de la société d’accueil. Les jumelages ont d’ailleurs connu un regain de popularité avec l’arrivée des réfugiés syriens. Accompagner des néo-Québécois dans les activités quotidiennes, comme aller à l’épicerie, à la banque ou au parc avec les enfants, et ce, sans partager la même langue, est un réel défi pour chacun. Un pont est toutefois jeté entre les deux familles et un dialogue s’établit, ténu et utilitaire au départ, mais de plus en plus signifiant au fil des semaines, allant jusqu’au lent (mé)tissage de liens d’amitié.
Les jumelages institutionnels
L’École de langues (Faculté de communication, UQAM) jumelle les personnes immigrantes suivant des cours de français avec des étudiants francophones. Depuis 2002, ces jumelages interculturels constituent un projet structurant, rassembleur, inspirant et motivant qui a permis la rencontre de plus de 12 000 étudiants et le travail d’équipe de plus de 50 professeurs, maîtres de langue et chargés de cours oeuvrant dans sept départements à l’UQAM. […]
Des étudiants du collège Vanier ont commencé à être jumelés à ceux du cégep de Victoriaville dans leurs cours de langue seconde. Ces jeunes sont nés au Québec, mais ils ont eu peu d’occasions de se côtoyer, entre autres en raison du clivage des commissions scolaires ou plus simplement de la géographie. Si la méfiance et la curiosité s’entremêlent au moment de l’annonce du jumelage, l’anxiété diminue après quelques séances de discussion sur Skype.
Quand on leur demande ce qu’ils ont appris, un étudiant de Vanier révèle : « Il y a un énorme malentendu à propos de la communauté francophone. Les anglophones et les francophones ont besoin d’être exposés les uns aux autres dans des environnements positifs [traduction libre]. » Par ailleurs, un étudiant de Victoriaville affirme : « J’ai appris que nous étions très semblables et que je n’avais pas à traiter les personnes de cultures différentes de manière différente… Cela a complètement démoli tous les préjugés que j’avais sur les anglophones. »
L’hypothèse du contact intergroupe
Les efforts pour jumeler des groupes nourrissant des préjugés les uns envers les autres peuvent s’appuyer sur l’hypothèse du contact intergroupe élaborée en psychologie sociale par Allport (1954). Cette approche repose sur l’idée que le contact personnalisé entre les membres de différents groupes (religieux, linguistiques, ethniques, ou sur le plan des orientations sexuelles) améliore les relations qu’ils entretiennent entre eux. Ces contacts aident à corriger les conceptions erronées de l’autre, à réduire les préjugés et à créer des liens d’amitié entre les membres de différents groupes. […]
Bien sûr, il ne suffit pas de mettre les gens en contact pour que « la magie opère », ça se saurait depuis longtemps ! Trois conditions optimales doivent être réunies : 1) les participants doivent avoir un statut égal lors des rencontres ; 2) la situation de contact doit viser la coopération pour l’atteinte d’un but commun ; 3) il faut l’appui officiel des personnes en autorité qui valorisent les rapports intergroupes. De plus, il a été démontré que les changements sont plus substantiels chez les participants appartenant aux groupes majoritaires que chez ceux venant de groupes minoritaires ou stigmatisés.
C’est sur cette assise que le Groupe de recherche sur les jumelages interculturels au Québec de l’UQAM vise à constituer un réseau mettant en commun les initiatives de jumelage interculturel et interlinguistique afin de sensibiliser à la reconnaissance de la différence, au respect mutuel et à la justice sociale. M. Taylor a raison de vouloir augmenter les contacts. Ces rencontres entre les groupes sociaux sont essentielles pour une société qui souhaite favoriser l’amélioration du vivre-ensemble.