La musique classique n’est l’apanage d’aucune classe

L’avenir des grands ensembles symphoniques repose sur la capacité de rejoindre tous les milieux.
Photo: Christina Alonso L’avenir des grands ensembles symphoniques repose sur la capacité de rejoindre tous les milieux.

Le déclencheur

« On récapitule : 72 heures, quatre concerts, quatre symphonies de Haydn qui nécessitent une préparation horlogère, quatre concertos différents, cinq œuvres minimalistes qui ne sont pas dans les réflexes et gènes des musiciens, le tout étant dirigé par un chef qui, vendredi dernier encore, dirigeait en Europe un oratorio en création mondiale. Et on est censé entendre quoi ? À quel niveau de préparation et de maturation ? Pour le bricolage, Rona et Home Dépôt ont une sérieuse concurrence. »

— Christophe Huss, « Minimalisme et misérabilisme musical », Le Devoir, 18 janvier 2017

Le Devoir ne pourchasse pas seulement les coquins, selon l’ordre de mission de son fondateur. Voici qu’il s’en prend à l’OSM. La campagne est menée rondement.

Lundi 16 janvier 2017 : le chroniqueur Jean-François Nadeau lance la première salve. Après un sympathique début sur la découverte d’un jeune talent et une éloquente illustration de la musique classique, sa chronique dérape et sombre dans la diatribe. Le point de rupture se situe à partir du moment où l’auteur évoque cette soirée où les cloches des deux cents églises de Montréal ont battu, l’unisson, avec l’accord de l’archevêché, pour souligner le premier concert du directeur artistique de l’OSM. L’auteur garde un souvenir lancinant de cet épisode. Son texte bascule dans l’irritation que lui inspire ce relent probable de cléricalisme. Le pauvre cardinal Turcotte était à mille lieues de penser ainsi encourir la vindicte posthume du Devoir.

Il est vrai que certains se confortent dans le silence de ces églises désertées. Mais que monsieur Nadeau se rassure, elles n’ont parlé, ce soir de fin d’été 2006, que pour nous convier tous à un simple et joyeux rassemblement de beauté et de fierté. La chronique enchaîne avec une étonnante dénonciation du « kidnapping » de la musique classique dont « les riches » seraient coupables. J’imagine qu’il faudrait voir là la motivation occulte de nos mécènes.

On est en pleine divagation. Rien ne trouve grâce aux yeux perspicaces de l’auteur de ce procès implacable, même pas le dévouement, la générosité et la loyauté des bénévoles, fidèles contributeurs, administrateurs et employés de l’OSM. On peint ce beau monde sous les traits d’une « société de caste qui se regarde avec émotion aimer ce qu’elle se pique d’aimer pour s’assurer de reproduire sa distinction jusqu’à plonger dans le ridicule ». C’est à se demander si l’auteur s’est relu avant de publier un tel délire de mépris et de fiel.

Une critique négative

 

Mercredi 18 janvier 2017 : Christophe Huss prend le relais dans sa chronique du concert donné la veille par l’OSM. Il reconnaît d’ailleurs expressément l’inscrire dans le suivi de la chronique de M. Nadeau. Le critique ne fait pas dans la dentelle pour exhaler sa détestation. La préparation des musiciens tient du « bricolage ». L’exécution est d’une « pitoyable incurie », l’interprétation de la 104e Symphonie de Haydn est qualifiée de « mignon effleurage », soulignant au passage les « borborygmes » du chef, le tout stigmatisé comme du « misérabilisme musical » et baignant dans la « sauce Mantovani ». Ce n’est plus de la critique, mais une charge de cavalerie, ponctuée de grands coups de sabre assenés au professionnalisme de notre directeur artistique, adepte de « l’empilement de notes » et dont la disponibilité entre deux avions tient du « défi sportif ».

Bref, M. Huss n’a pas aimé. Sauf de proférer des insultes, c’est son droit, comme c’était celui de centaines de personnes d’applaudir à tout rompre la même performance. Vous me direz qu’elles ne sont pas des musicologues diplômés et que, toutes choses étant égales, c’est le verdict de l’expert qui prévaut. Il s’ensuivrait qu’il faudra dorénavant retenir ses pulsions premières et attendre la parution de la critique de M. Huss pour applaudir. Ce dernier nous met d’ailleurs en garde en signalant la distinction qui oppose un succès de fréquentation à un succès de musique.

L’auteur n’a pas non plus de mots assez acerbes pour dénoncer la formule de minifestival mise en oeuvre pas l’OSM. Lui qui reproche à l’OSM de ne pas doter son public du « bagage nécessaire » pour lui permettre de discerner quand on « se paie sa tête » rate justement une belle occasion de faire exercice de pédagogie. Il s’abstient délibérément de toute tentative « d’expliquer, esthétiquement, spirituellement ou musicalement » cette démarche rassembleuse conçue pour attirer un plus large public. Au contraire, il passe sous silence les conférences et entretiens que l’OSM offre avant les concerts, dans un but d’échanges et de formation musicale. L’initiative serait-elle perçue comme un empiétement sur le magistère du censeur ?

Contradictions

 

J’ajouterai que M. Huss souffle le chaud et le froid. Ce dernier mercredi, il a blâmé l’OSM d’avoir donné dans le populisme. Par contre, le 15 août 2014, il le complimentait pour ses efforts de diversification de son public. Je cite à cet égard un passage de cette chronique que lui et M. Nadeau auraient intérêt à se remémorer : « En fin d’après-midi, une marée humaine convergeait vers le Stade olympique pour assister à Carmina Burana offert à la population de Montréal par Kent Nagano et l’OSM. Impressionnante, ô combien, à remonter à contre-courant, cette foule… Des gens de tous âges, toutes conditions, toutes générations, toutes origines bravant le temps menaçant et la fraîcheur. Plus de 40 000 spectateurs ! Comme un grand frisson parcourt l’échine : qui, au fait, a dit que le classique était élitiste ? »

Il y a, pour le moins, matière à confusion, sinon à contradiction. Songeons ici à la foule des auditeurs (pour beaucoup, des mélomanes avertis) qui sont sortis enthousiasmés du concert de mardi dernier et qui ont dû se trouver bien ignorants en lisant le lendemain l’éreintement du collaborateur du Devoir. Cela leur apprendra à se laisser aller au seul plaisir d’aimer ce qu’ils entendent.

En ce qui me concerne, ayant ressenti mes premières émotions musicales à l’audition des modestes prestations de ma mère au piano familial et à l’orgue de notre église paroissiale (M. Nadeau me pardonnera le déplaisir que lui causera ce rappel), je n’irai pas m’immiscer dans la querelle des musicologues. Pour un laïc comme moi, il y a trop de plumes dans un débat pointu sur la justesse de l’interprétation du 3e mouvement du concerto de Ravel ou encore sur le nombre et la disposition des instruments à cordes sur la scène. Sur ce point et sur tout ce qui concerne la qualité et la créativité musicales, on aurait tort d’oublier que l’OSM peut compter sur l’avis d’un autre expert, en l’occurrence un grand chef d’orchestre. Il s’agit, bien sûr, du maestro Kent Nagano, qui a dirigé dans le monde entier et est reconnu comme un programmateur d’une fine intelligence.

La vérité, c’est que nous sommes ici devant une question de goût et de ton pour exprimer son point de vue. Certaines oeuvres et exécutions, aujourd’hui vénérées, ont autrefois déplu à des esthètes aussi exigeants que M. Huss. C’est vrai en musique comme en peinture et en littérature.

Il n’y a donc rien à dire à l’encontre de la divergence, sinon qu’elle est nécessaire et souvent enrichissante. Là où le bât blesse, dans le cas actuel, c’est que M. Huss, par son ton ex cathedra, ne laisse pas place à l’opinion contraire. Gare à vous si vous aimez ce qui lui déplaît.

Car il lui est loisible de fulminer l’anathème du haut d’une chaire où il trône à peu près seul. La musique classique n’étant l’apanage d’aucune classe, nous savons combien l’avenir des grands ensembles symphoniques repose sur la capacité de rejoindre tous les milieux. Tous reconnaissent la difficulté d’harmoniser la présentation de monuments classiques avec celle d’oeuvres populaires. C’est un défi que nous savons devoir relever, ainsi qu’en témoignent nos concerts de Noël donnés avec des artistes comme Fred Pellerin, Bryan Perro, Boucar Diouf et d’autres. C’est dans cet esprit que nous avons monté sous forme symphonique la comédie musicale Les belles-soeurs de Michel Tremblay, sans compter les concerts familiaux, les matinées jeunesse, les concerts populaires, la Virée classique, l’accueil des élèves d’âge scolaire et la mise en place d’un programme de musique-études au bénéfice des enfants défavorisés de Montréal-Nord.

En même temps, l’OSM poursuit sa carrière de grand orchestre international, recevant de critiques musicaux de renom les louanges et les prix les plus prestigieux. Je ne citerai que le dernier prix, l’un des Diapasons d’or de l’année (2016), pour l’enregistrement de L’Aiglon, décerné par le magazine français du même nom. Sans doute reste-t-il beaucoup à faire, face à la vive concurrence des autres formes de musique et de tout ce qui sollicite l’attention du grand public. Heureusement, l’OSM peut compter sur la mobilisation des Montréalais et le soutien des gouvernements, en particulier celui du Québec. Nous avons en effet besoin de toutes les bonnes volontés. Nous aimerions penser, Messieurs Nadeau et Huss, que nous pouvons compter sur la vôtre et sur celle du Devoir.



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