Quelles leçons tirer de l’élection de Donald Trump?

Il y a un peu plus d’un mois, Donald Trump était élu président des États-Unis. Le temps qui s’est écoulé depuis cette onde de choc permet de prendre un peu de recul et de commencer à comprendre pourquoi les gens qui étaient appelés à voir venir le coup — l’auteur de ce texte le premier — ont manqué le bateau de façon si spectaculaire. À défaut d’avoir déjà toutes les réponses, voici quelques leçons pouvant être tirées du 8 novembre et dont les implications touchent sondeurs, analystes et intervenants médiatiques.
Attention aux indécis
Soyons clairs : il n’était pas raisonnable, sur la base des données disponibles jusqu’au soir même de l’élection, de conclure qu’Hillary Clinton n’était pas largement favorite. Contrairement aux primaires républicaines ou même au Brexit, où des indicateurs empiriques crédibles donnaient respectivement Trump et le camp du « Leave » gagnants, les résultats du 8 novembre dernier constituent une surprise monumentale. Par exemple, sur une centaine de sondages non partisans menés pendant l’année en Pennsylvanie, au Michigan et au Wisconsin — les trois États ayant permis à Trump de dépasser le seuil magique des 270 grands électeurs —, pas un seul n’avait mis Trump en avance. Pas un.
L’erreur des sondeurs aura été systématique. Ainsi, les appuis prédits à Clinton dans ces États ainsi que dans plusieurs autres des plus importants étaient fiables, à un point ou moins du résultat finalement obtenu par l’ex-secrétaire d’État. Le problème résidait dans la sous-estimation du vote de Trump : quatre points en Pennsylvanie, cinq au Minnesota, six au Michigan et en Ohio, sept en Iowa et au Wisconsin.
Comme on s’est plu à le répéter pendant la campagne, 2016 n’était pas une année comme les autres : elle mettait en scène les deux candidats présidentiels les plus impopulaires depuis l’arrivée des sondages modernes.
Conséquemment, le taux d’électeurs disant ne pas appuyer l’un des deux candidats majeurs était historiquement élevé, et ce, jusqu’à la toute fin de la course. À titre d’exemple, seuls 3 % des électeurs disaient ne pas appuyer Barack Obama ou Mitt Romney dans la moyenne des sondages menés au Wisconsin à la fin de la course présidentielle de 2012. En 2016, ce pourcentage était quatre fois plus élevé, alors que 13 % des électeurs ne se prononçaient ni pour Clinton ni pour Trump.
Il est donc imprudent — comme le font d’ailleurs régulièrement plusieurs sondeurs ce côté-ci de la frontière — de présumer une allocation proportionnelle des électeurs indécis. Si on a affaire à un nombre anormalement élevé de gens se disant indécis, il est possible que ces derniers se rangent de façon disproportionnée dans le camp d’un candidat en particulier. Cette année, Trump semble en avoir bénéficié.
La présidence se gagne dans les États
Une partie considérable de la croyance selon laquelle Clinton gagnerait la présidence s’appuyait sur son avance à l’échelle nationale, qui, à la mi-octobre, semblait clairement insurmontable. Et elle l’aura été : Clinton aura au final remporté le vote populaire national par deux points… tout en perdant le Collège électoral par 74 grands électeurs. Un tel écart — et donc un vote distribué de manière si déséquilibrée entre les États — est sans précédent dans l’histoire américaine.
La « machine électorale »
L’opération de sortie de vote démocrate était peut-être plus efficace que celle de Trump ; son impact réel a peut-être également été amplement surestimé. La coalition électorale démocrate, s’appuyant de façon cruciale sur des électeurs marginaux (notamment les jeunes), combinée au manque d’enthousiasme à l’égard de Clinton, a fait de la « machine électorale » une condition nécessaire, mais insuffisante pour l’ex-secrétaire d’État. Pour Trump, gonflé depuis les tout premiers débuts de la course par une armée de partisans profondément loyaux et motivés, les efforts de sortie du vote se sont avérés plus superflus.
Des conseillers faillibles
Même les campagnes les plus professionnelles et les conseillers les plus aguerris peuvent errer. Présumer que la raison pour laquelle Clinton n’a pas visité le Wisconsin à une seule reprise après avoir décroché l’investiture démocrate était que son équipe savait hors de tout doute que l’État lui était acquis aura été une erreur. Présumer que Steve Schale, l’ex-directeur de la campagne de Barack Obama deux fois victorieux en Floride, avait nécessairement raison lorsqu’il a assuré au président sortant que Clinton remporterait l’État sur la base du vote par anticipation en aura été une autre. Il n’y a pas que sondeurs et analystes qui peuvent se tromper : les candidats et leurs campagnes, même à un niveau aussi élevé, demeurent également faillibles.
Un monde probabiliste
À force d’intervenir dans les médias, il peut devenir tentant de s’exprimer en « clip » : de la manière la plus directe et la plus tranchée possible. C’est ce genre de tentation qui peut conduire à des garanties à l’emporte-pièce. C’est également ce genre de tentation qui se trouve aux antipodes de ce que la science politique, rigoureusement pratiquée, recommande.
La vie politique a peu de lois universelles absolues. En ce sens, même si Hillary Clinton avait remporté l’élection, il aurait été inexact de clamer, à un mois du scrutin, qu’elle était assurée à 100 % de la victoire. Malgré les avancées louables de nos outils d’enquête, il ne faut pas surestimer leur pouvoir prédictif. Tant et aussi longtemps que nous n’avons pas tous les résultats d’une élection, nos données, peu importe la taille ou la qualité de nos échantillons, sont susceptibles de nous induire en erreur.
Errare humanum est, perseverare diabolicum, disait Sénèque. Si l’erreur commise dans le cadre de l’élection américaine de 2016 est extraordinaire, il en est autant de l’occasion d’apprentissage. Saisissons-la.