Les médecins sont-ils tombés de leur piédestal?

La question m’est régulièrement posée. Mais je n’y répondrai pas comme politicien, car il y aurait toute une ironie qu’un politicien commente ce qu’on imagine être le désamour du Québec pour les médecins. Le politicien que je suis ne saurait que rassurer les médecins qu’il n’y a pas de quoi se plaindre ! Le Baromètre des professions 2016 place les médecins en haut de la liste du taux de confiance des Québécois (les omnipraticiens au quatrième rang et les spécialistes au huitième rang), alors que les députés arrivent au 54e rang, juste devant les vendeurs d’autos usagées…
On ne peut pas dire que les médecins sont descendus de leur piédestal. Mais le médecin que je suis encore doit admettre que nous avons perdu un peu de notre éclat. Notre réputation a été mise à rude épreuve par les pratiques abusives d’une minorité d’entre nous : frais accessoires exorbitants ; longue liste d’attente de radiologistes qui peuvent vous voir le lendemain si vous allongez la carte de crédit ; primes invraisemblables pour un tout et pour un rien, comme celles consenties à un ex-ministre de la Santé.
Notre faute, c’est peut-être d’avoir laissé faire les Couillard, Bolduc et Barrette. Nous pâtissons sans doute de l’influence exercée dans nos fédérations par une poignée de médecins affairistes qui envisagent notre profession comme du commerce. Cette vision entrepreneuriale de la médecine, qui se répand dans nos structures de pouvoir médical, jette de l’ombre sur l’ensemble de la profession. Alors que pour l’immense majorité d’entre nous, surtout depuis que la profession médicale s’est largement féminisée, la priorité d’un médecin est de veiller au bien-être du malade, sur les plans physique et moral, conformément au serment d’Hippocrate. Bon nombre de mes collègues font honneur à ce serment de manière très remarquable : Médecins du monde et Médecins sans frontières, Médecins québécois pour le régime public, Regroupement des médecins omnipraticiens pour une médecine engagée, etc.
Incorporation
À l’opposé, des tendances comme l’incorporation des médecins pour échapper à l’impôt entachent notre profession en la poussant vers une pense glissante. L’état précaire du système de santé aux États-Unis devrait nous servir d’exemple. Arnold S. Relman, professeur émérite de médecine, spécialiste en médecine sociale à l’Université de Harvard et éditeur au New England Journal of Medecine de 1977 à 1991, sonne l’alarme depuis longtemps. Il prévient que « la privatisation continue du système de soins, tout comme la prédominance et l’intrusion des forces du marché dans la pratique de la médecine vont non seulement pousser le système de santé à la faillite, mais aussi aboutir inévitablement à la ruine des fondements éthiques de la pratique médicale et à la dissolution des préceptes moraux qui ont été historiquement constitutifs de la définition de la profession médicale ». Relman est très clair sur la question, « le système de santé pourrait s’effondrer complètement si des réformes majeures ne sont pas faites pour mettre fin à la grave crise qu’il traverse ». Et il ne faut pas être sorcier pour comprendre les réformes qu’il défend pour aider le système de santé aux États-Unis ; il parle de l’assurance-maladie universelle et de la nécessité d’investir dans un système de santé public et accessible. Nous avons cette chance inouïe au Québec de pouvoir déjà compter sur ces deux piliers. Je ne cesse de le répéter, il faut abandonner les diktats néolibéraux qui orientent les décisions du ministre de la Santé et du gouvernement actuel et investir toutes nos énergies à protéger et à promouvoir notre système public de santé, relancer nos CLSC et les infrastructures publiques du réseau plutôt que les supercliniques privées de Gaétan Barrette !