Préférer aux saints les sains d’esprit

Dans de nombreuses églises indiennes comme celle de Siliguri, ici, des prières spéciales ont été prononcées à la veille de la canonisation contestée de Mère Teresa.
Photo: Diptendu Dutta Agence France-Presse Dans de nombreuses églises indiennes comme celle de Siliguri, ici, des prières spéciales ont été prononcées à la veille de la canonisation contestée de Mère Teresa.

Au cours des siècles, les papes ont canonisé des personnes qu’ils jugeaient « saintes ». Le pape Jean-Paul II est l’auteur du plus grand nombre de canonisations et de béatifications de l’Histoire, parmi lesquelles se retrouvent aussi les plus contestées.

Pas si loin de nous, entre autres, celle de Josemaria Escriva, le 17 mai 1992, dont la société sacerdotale est sans conteste liée à l’Opus Dei qui a détruit les tenants théologiques de la libération, en Amérique du Sud. Des multitudes de pratiquants s’y opposaient, comme se sont manifestement opposés les croyants à la béatification de Pie IX, accusé d’antisémitisme.

La canonisation de mère Teresa, qui vient d’avoir lieu, est très contestée. Des religieuses de sa communauté ont porté plainte, en regard de sa sévérité envers elles. On lui reproche d’être contre l’avortement, le divorce et même le soulagement approprié aux mourants, car, selon elle, Dieu aime la souffrance expiatrice pour les péchés du monde.

On ne trouve jamais de juste milieu dans la vie des saints. Ce sont des extrémistes, des radicaux. Tous ont été des athlètes du dépassement et leur médaille, c’est l’auréole de la canonisation.

Le culte des saints fut établi pour prouver que les saints étaient plus grands que les païens. Il fallait que le christianisme soit reconnu comme « meilleur ». En lisant l’histoire des saints canonisés, hommes et femmes — bien que je ne souhaite en rien me substituer aux professionnels de la psychanalyse —, n’est-il pas étrange de constater qu’un grand nombre semblait être des extrémistes (ermites, reclus, etc.), des névropathes probables (contemplatifs sujets aux hallucinations), voire des psychotiques que l’isolement et l’abstinence prolongés ont conduits à de multiples dérèglements. Pourtant, on nous les cite en exemples à suivre. Ce sont les grands modèles proposés à tous les catholiques.

Dans la vie religieuse, on valorise le dépassement pour faire échec au raisonnable par l’irraisonnable, pour dompter les tendances naturelles par l’excès d’une ascèse inhumaine.

Les modèles et les moules

 

Dans un passé pas si lointain, pensons à l’une des saintes les plus populaires, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Thérèse Martin. Elle est morte carmélite dans un cloître français. Depuis, l’Église s’en fait une « gloire », comme la mère qui se fait une gloire d’avoir un enfant kamikaze, alors que l’Église est, en quelque sorte, responsable de cette mort provoquée par un excès de jeûnes, de pénitences et, surtout, par le froid qu’elle a dû supporter, tragique résultante des règlements cruels et insensés appliqués dans les cloîtres et fort encouragés par le pape.

Des saints pour demain ? Je préfère des sains de corps et d’esprit ; que l’on pourrait glorifier comme étant les modèles de l’avenir, ces vies vécues au coeur d’une existence empreinte d’équilibre et de sagesse, non sur des excès personnels, mais sur l’excellence de la vraie vie.

Est-ce que l’on canonise parce que c’est payant ? Des multitudes de reliques seront vendues à ceux qui ont une foi naïve ; et des lampions seront brûlés, assurant ainsi les dépenses des sanctuaires. Enseignons aux jeunes qu’une vie saine est, de loin, beaucoup plus héroïque et sage. Et rappelons-nous que la canonisation n’est qu’un rite de plus contenu dans les rituels de magie religieuse.

Quels modèles offrir aux jeunes ? Ont-ils vraiment besoin de modèles ? Peut-être pas puisque les modèles d’aujourd’hui ne seront pas d’actualité ou d’intérêt demain. Il est préférable, à mon avis, de les aider à trouver des balises auxquelles ils pourront se référer, par l’habitude de réflexions qu’on devrait leur inculquer dès leurs études au secondaire. Une idole qu’on leur propose, ou une référence à eux-mêmes accompagnée de connaissances et de réflexions philosophiques ? Apprendre à être à l’écoute de soi, de nos aspirations, de nos désirs, de nos intuitions.

C’est dévaloriser un être humain que de vouloir qu’il se moule sur un « autre ». Faut-il, pour être « quelqu’un », renoncer à soi-même ? La vie dans son essence, l’évolution naturelle doivent se hisser à la place qui leur revient, c’est-à-dire au-dessus des préceptes, des spéculations théologiques et doctrinales et d’une pratique religieuse fondamentaliste.

Je préfère les sains d’esprit aux saints religieux. Des gens ordinaires, ceux qui vivent sainement leur vie quotidienne. Ils ne fuient pas la vie dans ce qu’elle a de concret, mais assument les responsabilités, vivent les joies et affrontent les peines, de façon naturelle et aimante. J’ai beaucoup d’admiration pour ces gens-là, qu’on ignore pourtant. Si j’avais à canoniser quelqu’un, ce serait surtout les personnes de cette catégorie : ces femmes qui, malgré les nombreux enfants que leur imposait l’Église, ont su les aimer.

Ces femmes et ces hommes vaillants que sont nos parents, qu’ont été nos grands-parents et les générations qui nous ont précédés, qui ont aidé à bâtir, avec tant de générosité, ce dont la société peut jouir aujourd’hui.

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