Lettre à Aminata Traoré

Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture et du Tourisme du Mali, participe, le 22 novembre 2009 à Paris, à une réunion organisée à l’initiative de Réseau éducation sans frontières.
Photo: Mehdi Fedouach Agence France-Presse Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture et du Tourisme du Mali, participe, le 22 novembre 2009 à Paris, à une réunion organisée à l’initiative de Réseau éducation sans frontières.

Chère amie,

Tu dois savoir que nous sommes nombreux à nous désoler et davantage du refus du Canada de délivrer, à ton profit, un visa d’entrée en vue de ta participation au Forum social mondial, édition 2016, réuni à Montréal. Ceux-là t’ont appréciée lors de précédentes visites comme ministre de la Culture de ton pays et amie du nôtre, participante à des rassemblements de la francophonie au titre notamment de la diversité culturelle, essayiste honorant nos salons du livre ou encore, puisqu’il faut choisir, comme invitée de Droits et Démocratie. Bref, tu étais chez toi dans notre ville jusqu’à ce refus incompréhensible qui nous prive aujourd’hui de ta présence et de ta parole.

Ce refus, tu le sais bien, a été inséré sournoisement dans l’ADN canadien par le gouvernement précédent copiant les pires pratiques de plusieurs gouvernements européens. Il n’y a pas d’exception canadienne, à ce sujet, à moins qu’elle ne soit établie par le nouveau gouvernement fédéral.

Nous attendons de lui une rupture radicale qui, dans les circonstances actuelles, comporte les trois éléments suivants :

1) Que soient rendus publics les motifs du refus qui te concerne.

 

2) Que soient mises en débat public les politiques d’octroi de visa en vue de leur révision avant la fin de la présente année.

3) Que des excuses officielles te soient adressées d’autant que les causes que tu soutiens le sont aussi par un grand nombre de Canadiens : partage équitable de la croissance, accélération du développement durable, mise en oeuvre de l’équité entre les genres, arrimage entre développement économique et développement social et, finalement, justice dans les politiques financières et commerciales internationales, celles des institutions et celles des puissances.

« Canada is back », dit le premier ministre Trudeau… en Afrique… Pas encore !

Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Jean-Louis Roy

Chère amie, dans le cas de ton pays, de ta région et de l’Afrique tout entière, chacune des causes relevées précédemment est marquée d’un indice d’urgence indiscutable, d’un besoin de pensées nouvelles pour faire émerger ce qui doit l’être dans ce continent qui, aujourd’hui, connaît des situations sécuritaires désastreuses et n’arrive pas à satisfaire les besoins de base de sa population. Et cette dernière doublera dans le prochain quart de siècle, de 1,1 à 2,2 milliards d’habitants.

Dans cette même période, les écoles, qui ne suffisent pas à la tâche, devront accueillir des centaines de millions d’enfants ; le marché du travail, des millions de travailleurs annuellement et les villes, le double de leur population actuelle.

Le statu quo est intenable. Il est volcanique. Tu as mille fois raison de le rappeler sans cesse. Si maintenu, il continuera à produire et produira, aussi loin que l’onpuisse voir dans l’avenir, des successions ininterrompues de drames humanitaires, sécuritaires, sociaux, culturels et autres impliquant des dizaines de millions de personnes sur le continent même et dans le monde.

Violence, terreur, souffrance de toute nature émergeront du continent vers le monde et du monde vers le continent. Tu as raison de t’interroger sur les causes d’une telle situation, de les dénoncer et de chercher les conditions d’un autre avenir. Tu n’es pas seule, tu le sais bien. Vous êtes légion sur le continent à inscrire engagements et investissements dans cette recherche vitale. C’est à eux tous et à elles toutes que nous venons de fermer nos frontières en te signifiant que tu n’es pas la bienvenue au Canada.

Espère te voir bientôt… à Montréal.

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