Faire sa place au Québec lorsqu’on est une personne réfugiée

Le Canada, sous l’impulsion d’un gouvernement libéral ayant choisi de faire de l’accueil des réfugiés un élément clé de sa campagne électorale, s’est engagé à ouvrir ses portes à plusieurs milliers de Syriens, tout en maintenant ses cibles habituelles d’accueil en provenance des autres pays. On peut toutefois se demander ce qui se passe au quotidien lorsque les personnes réfugiées entreprennent leur insertion dans la société québécoise. Comment le contexte politique marqué par le désengagement de l’État et l’austérité influe-t-il sur leur parcours ?
Les personnes réfugiées éprouvent de nombreux problèmes en matière d’emploi, de logement, d’éducation et de santé, qui sont des éléments essentiels du processus d’insertion dans une nouvelle société. Ces défis relèvent à la fois du vécu particulier de refuge et d’exil, mais aussi du niveau de préparation de la société qui les accueille. Rappelons que le Québec, dans son Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration (1991), reconnaît officiellement le principe de bidirectionnalité comme élément essentiel du processus d’intégration des personnes immigrantes. Cela engage réciproquement autant la personne immigrante que la société d’accueil. Or, les nombreuses barrières auxquelles font face les personnes réfugiées montrent que plusieurs adaptations restent à faire.
L’emploi* est une priorité pour les personnes réfugiées, mais la reconnaissance de leurs acquis ainsi que leur insertion sur le marché du travail sont souvent plus difficiles que pour les autres nouveaux arrivants. Aucun programme spécifique n’existe actuellement pour elles en matière d’employabilité, et ce, même si elles font face à des problèmes uniques.
Dans les grands centres comme Montréal, les logements spacieux permettant d’accueillir des familles nombreuses sont rares et coûteux. Les personnes réfugiées se retrouvent donc très souvent dans des appartements mal entretenus qu’elles hésitent à quitter faute de moyens financiers ou dans lesquels elles demeurent afin de bâtir leur dossier de crédit. Cette importante précarité s’illustre également par un phénomène d’itinérance « cachée », c’est-à-dire de personnes qui n’ont pas de logement permanent et qui vivent chez des amis ou des membres de la famille ou qui consacrent la quasi-totalité de leurs revenus au logement. Cette situation les expose à des risques plus élevés de se retrouver en situation d’itinérance « visible » une fois que toutes leurs ressources sont épuisées. En région, où la majorité des personnes réfugiées sont réinstallées, même si l’accès à de grands logements abordables est plus facile, d’autres obstacles de taille se posent en matière de transport et d’emploi, qui sont également source de vulnérabilité importante.
Bien qu’un nombre important de personnes réfugiées arrivent au pays avec des diplômes, plusieurs d’entre elles ont également connu des interruptions fréquentes et prolongées de leur parcours scolaire. Par exemple, on évaluait à seulement 6 % le taux de fréquentation scolaire des enfants syriens après le début du conflit dans certaines régions. La question de la sous-scolarisation et de l’analphabétisme se pose donc de manière plus spécifique pour les personnes réfugiées, qui sont souvent durement confrontées aux barrières linguistiques. Cette situation influe notamment sur les communications entre les parents et les institutions scolaires, qui s’effectuent majoritairement à l’écrit. Lorsque celles-ci se déroulent mal, des incompréhensions importantes risquent de survenir. Différentes initiatives communautaires, universitaires et institutionnelles lancées ces dernières années ont toutefois pour but d’améliorer cette situation.
Les personnes réfugiées ont aussi des besoins spécifiques en matière de soins de santé physique et mentale. À leur arrivée au Canada, elles ont accès au Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), qui complète la couverture des régimes provinciaux. Or, entre 2012 et 2015, le PFSI a subi des compressions majeures de la part du gouvernement conservateur. Même si la couverture universelle a été rétablie en février 2016 par le gouvernement libéral, on peut penser que la complexité importante induite par les conservateurs continue de freiner l’accès des personnes réfugiées aux services auxquels elles ont droit.
S’assurer que les personnes réfugiées reçoivent les mêmes services pour les mêmes besoins que les autres usagers est essentiel, mais pas suffisant dans la mesure où ces services doivent également être adaptés. Par exemple, l’accès à des interprètes professionnels pour les personnesqui ne parlent pas français demeure difficile dans plusieurs milieux. Cela pose des défis importants en matière d’éthique et de confidentialité et peut aussi avoir des conséquences importantes sur la santé physique et mentale des personnes. De plus, des personnes réfugiées sont fréquemment renvoyées vers les organismes communautaires par des intervenants des institutions publiques, qui se sentent impuissants face à certaines situations complexes où barrières linguistiques et chocs culturels s’entremêlent. En contexte actuel d’austérité et de désengagement de l’État, où les compressions affectent grandement la marge de manoeuvre des praticiens du réseau public et les personnes les plus vulnérables, on peut penser que ces adaptations risquent d’être encore plus difficiles à concrétiser, mais qu’elles sont plus que jamais nécessaires.
* La question de l’emploi fait l’objet d’un autre article de la revue
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