Québec veut aller trop loin

Vue de la Chambre haute du Parlement, où siègent les sénateurs à Ottawa
Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne Vue de la Chambre haute du Parlement, où siègent les sénateurs à Ottawa

Lettre adressée à l’éditorialiste Antoine Robitaille.

Je vous prie de m’excuser de répondre si tardivement à votre éditorial du 13 mai (Le Devoir, M. Pratte, à l’aide !). L’apprentissage de mes nouvelles fonctions a accaparé tout mon temps au cours de mes premières semaines au Sénat.

Vous m’invitez à m’élever contre l’« attitude méprisante » dont ferait preuve le gouvernement fédéral à l’endroit de celui du Québec dans le différend qui les oppose au sujet du mode de sélection des candidats aux postes de sénateur. Contrairement à vous, je ne vois nul mépris dans le fait que la ministre fédérale des Institutions démocratiques, Maryam Monsef, a rejeté les propositions de son homologue provincial Jean-Marc Fournier. On peut être en désaccord avec quelqu’un sans le mépriser.

Sur le fond du dossier, j’appuie en partie le point de vue défendu par le gouvernement québécois. En effet, selon moi, le comité chargé de proposer des candidats au premier ministre du Canada, parmi lesquels il choisira les sénateurs représentant le Québec, devrait être formé d’un nombre égal de personnes nommées par Ottawa et par Québec et non de trois personnes nommées par le fédéral et de seulement deux personnes nommées par la province. Le gouvernement québécois étant naturellement plus proche de la population, on s’assurerait ainsi que les futurs sénateurs soient les meilleurs représentants possible de la province. Puisque la défense des intérêts régionaux est une des missions fondamentales du Sénat, on ne devrait rien négliger pour améliorer sa représentativité.

Il n’y a aucun obstacle constitutionnel à ce que le comité de sélection soit paritaire. Ottawa relève un problème pratique : qu’arriverait-il si les représentants des deux « camps » ne s’entendaient pas ? S’il y avait un nombre pair de membres dans le comité, il serait impossible de trancher. Ce risque existe, mais il nous semble moins problématique que celui de voir toute impasse au sein du comité systématiquement réglée en faveur du côté fédéral.

Pouvoir de nomination

 

M. Fournier voudrait aussi que, parmi les candidats retenus par le comité, le premier ministre du Québec puisse « recommander » l’un d’eux à son homologue fédéral. Ici, je ne suis pas d’accord. En pratique, cela reviendrait à donner au gouvernement du Québec le pouvoir de nommer les sénateurs représentant la province, comme ce qui était prévu par l’Accord du lac Meech. Bien sûr, en théorie, le premier ministre du Canada pourrait ne pas suivre la « recommandation » de son homologue du Québec, mais il devrait payer un tribut politique élevé.

Un changement aussi substantiel pourrait exiger un amendement constitutionnel. Surtout, la nature de l’institution en serait profondément modifiée ; une telle modification devrait être apportée seulement dans le cadre d’une réflexion plus large sur le rôle et les pouvoirs du Sénat.

En réaction à la fin de non-recevoir signifiée par Mme Monsef, le gouvernement du Québec a décidé de ne plus participer aux travaux du comité de sélection des candidats aux postes de sénateur. Selon M. Fournier, il n’est pas question de « jouer au faire-valoir » à Ottawa. Or, la politique de la chaise vide a toujours mal servi le Québec, comme l’ont maintes fois reconnu les libéraux du Québec. Même avec deux sièges sur cinq au comité de sélection, le Québec jouirait d’une influence significative dans le choix des candidats. Et si d’aventure sa voix était systématiquement ignorée, il serait en mesure d’alerter l’opinion publique (les règles de confidentialité sont des contraintes bien relatives…).

Jean-Marc Fournier et vous-même accusez le gouvernement Trudeau de renier les principes du fédéralisme, la « logique fédérale ». C’est plutôt de conceptions différentes du fédéralisme qu’il s’agit. Ottawa et les provinces, en particulier le Québec, ont toujours eu des visions distinctes de la fédération. Cette tension est normale et saine au sein d’un régime fédéral. Elle serait néfaste à long terme si elle se résolvait toujours en faveur du centre ou des États fédérés. Or, le Canada a connu une alternance d’époques centripètes et centrifuges qui a produit un équilibre général dont les Canadiens sortent les grands gagnants. Le Sénat — que vous qualifiez d’un brusque trait de plume d’« imposture » — est une des institutions garantes de cet équilibre.

Sourire en coin, vous m’appeliez à la rescousse du gouvernement Couillard. La réponse ne vous étonnera pas. Ma petite bouée de sauvetage est à la fois résolument québécoise… et fédéraliste.

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