Une place pour les infirmières en première ligne
Depuis quelque temps, circulent dans les médias des articles soulignant l’apparition de cliniques infirmières privées. Dans un contexte où les dysfonctionnements du système de santé public sont régulièrement mis en lumière, ces cliniques sont présentées comme de prometteuses solutions. Récemment, un article de La Presse présentait le parcours de jeunes infirmières déterminées à prendre leur place. Après plusieurs années à travailler dans une urgence, freinées dans leur désir d’autonomie, elles ont décidé de créer leur propre espace de travail.
« Elles aimaient leur travail, mais elles déploraient le peu d’autonomie laissé aux infirmières. Et il y avait les coupes budgétaires à répétition et l’alourdissement des tâches qui finissaient par saper le moral des plus courageuses. »
Voilà qui témoigne de malaises ressentis par de nombreuses infirmières oeuvrant dans divers secteurs du système de santé québécois.
Dans Le Devoir du 16 mars, la journaliste Amélie Daoust-Boisvert suggère que « démotivées par le système public ou faute de pouvoir y travailler autant qu’elles le voudraient, des infirmières praticiennes spécialisées (IPS) ouvrent des cliniques entièrement privées ».
Nous sommes des professeur-e-s de facultés de sciences infirmières de diverses universités investi-e-s dans la formation de ces infirmières et infirmiers dont le système de santé public a un criant besoin. Nos enseignements contribuent à développer chez ces jeunes de solides principes éthiques et compétences ainsi qu’une autonomie professionnelle. Mais nous leur enseignons aussi le courage, car, du courage, il en faut pour investir les planchers d’un système de santé qui réduit les espaces du soin comme peau de chagrin.
Bien que nos enseignements insistent sur l’importance d’offrir des soins pensés et structurés autour des patients en favorisant une interdisciplinarité horizontale qui respecte chaque champ de compétence, la réalité diffère et y domine encore une verticalité hiérarchique qui finit par étioler les aspirations des plus motivés de nos diplômé-e-s.
L’émergence des cliniques infirmières privées trouve justement son essence dans cet environnement rigide peu favorable à l’autonomie des soignantes et soignants. De plus, certaines de ces initiatives infirmières hors réseau ne répondent pas à des motivations financières et réagissent souvent à un sentiment d’urgence en termes de besoin, notamment de personnes vulnérables avec la volonté d’y répondre efficacement au-delà de la lourdeur des structures existantes.
La Coopérative de solidarité SABSA, saluée par de nombreux acteurs de la société québécoise, est exemplaire en ce sens. Cette structure flexible, qui favorise la participation des citoyens à son fonctionnement, fournit des soins gratuitement en tâchant d’assurer un suivi continu et global de ses patients. Nulle ambition, à SABSA, de développer un système de santé parallèle. Les membres de cette coopérative de solidarité souhaitent, au contraire, contribuer au développement et à l’amélioration du système de santé public et universel en proposant une formule économique permettant d’offrir des soins de première ligne de proximité sensibles aux besoins des populations plus vulnérables.
Nous pensons que ce type d’initiatives contribue à ouvrir des pistes innovantes et nous regrettons le refus ministériel catégorique de les intégrer au réseau public pour en faire profiter la population dans son ensemble. Cette fermeture à l’innovation et cette frilosité à encourager une vraie interdisciplinarité privent le réseau public de la pleine contribution de la relève que nous contribuons à former. Au final, ce sont des entrepreneurs et le marché privé qui se trouvent à bénéficier des ressources que le public finance par ailleurs (impôts, financement de l’éducation, etc.). À l’inverse, l’universalité et l’équité de l’accès aux soins — qui sont les valeurs que nous défendons — sont menacées.
Ce ne sont pas les infirmières et infirmiers qui sont à blâmer de quitter le réseau public, mais bien les décisions politiques qui les poussent au-dehors : en contraignant leur autonomie et en ignorant les pistes que ces personnes courageuses ouvrent pour améliorer l’accès aux soins et leur pertinence. La société sort grande perdante de cet aveuglement qui ne profite qu’aux intérêts mercantiles qui se déploient dans le secteur de la santé.
Nous interpellons nos élus pour qu’ils reconsidèrent leurs politiques et mettent tout en oeuvre pour intégrer au réseau public de santé les forces vives et innovantes des infirmières et infirmiers plutôt que de maintenir un contexte qui les épuise et les démobilisent. Nous interpellons toutes les actrices et tous les acteurs qui oeuvrent au sein et en périphérie du système pour s’investir dans l’espace public afin d’obliger nos dirigeants à prendre des décisions responsables qui amélioreront significativement l’offre et la qualité des soins de première ligne dans l’intérêt premier des citoyennes et des citoyens du Québec.
*Texte collectif
Bernard Roy, professeur titulaire, FSI, Université Laval
Anne Lardeux, responsable de communication, Chaire POCOSA
Damien Contandriopoulos, professeur titulaire, FSI, Université de Montréal
Arnaud Duhoux, professeur adjoint, FSI, Université de Montréal
Laurence Guillaumie, professeure adjointe, Université Laval
Pawel Krol, professeur adjoint, Université Laval
Suzanne Bouchard, professeure adjointe, Université Laval
Nancy Leblanc, professeure agrégée, Université LavalJean-François Desbiens, professeur agrégé, Université Laval
Marie-Pierre Gagnon, professeure titulaire, Université Laval
Louise Hamelin-Brabant, professeure titulaire, Université Laval
Patrick Martin, professeur adjoint, Université Laval
Nicolas Vonarx, professeur agrégé, Université Laval
Clémence Dallaire, professeure titulaire, Université Laval
Ginette Lazure, professeure retraitée, Université Laval
Maria Cecilia Gallani, professeure titulaire, Université Laval
Marie-Josée Henry, professeure clinique, Université Laval
Louise Bujold, professeure agrégée, Université Laval
Steeven Bernier, chargé de cours, Université Laval
Elisabeth Martin, professeure adjointe, Université Laval
Anne Guichard, professeure adjointe, Université Laval
Hélène Laperrière, professeure agrégée, Université d’Ottawa
Marilou Gagnon, professeure agrégée, Université d’Ottawa
Dave Holmes, professeur titulaire, Université d’Ottawa
Marie-Claude Thifault, professeure agrégée, Université d’Ottawa
Amélie Perron, professeure agrégée, Université d’Ottawa
Édith Ellefsen, professeure agrégée, Université de Sherbrooke
Sylvie Jetté, professeure agrégée, Université de Sherbrooke
Luc Mathieu, professeur titulaire, Université de Sherbrooke
Marianik Boulard, professeure clinique, Université de Sherbrooke
Stéphan Lavoie, professeur agrégé, Université de Sherbrooke
Chantal Doré, professeure agrégée, Université de Sherbrooke
Jacques Lemaire, professeur agrégé, Université de Sherbrooke
Line Saintonge, professeure agrégée, Université de Sherbrooke
Bernard Laurence, professeur adjoint, Université de Montréal
Annette Leibing, professeure titulaire, Université de Montréal
Amélie Blanchet Garneau, professeure adjointe, Université de Montréal
Pilar Ramirez-Garcia, professeure adjointe, Université de Montréal
José Côté, professeur titulaire, Université de Montréal
Anne Bourbonnais, professeure agrégée, Université de Montréal
Kelley Kilpatrick, professeure adjointe, Université de Montréal
Roxane Borgès Da Silva, professeure adjointe, Université de Montréal
Bilkis Vissandjée, professeure titulaire, Université de Montréal
Marjolaine Héon, professeure adjointe, Université de Montréal
Danielle D’Amour, professeure titulaire, Université de Montréal
Jacinthe Pepin, professeure titulaire, Université de Montréal
Alain Legault, professeur agrégé, Université de Montréal
Carl-Ardy Dubois, professeur titulaire, Université de Montréal
Marilyn Aita, professeure adjointe, Université de Montréal
Louise Francoeur, professeure adjointe formation pratique, Université de Montréal
Sylvie Gendron, professeure agrégée, Université de Montréal
Carole Dionne, professeure, dir. module des sc. inf., UQAC
Danielle Poirier, professeure agrégée, UQAC
Françoise Courville, professeure, UQAC
Nicole Ouellet, professeure et dir. du département des sc. infirmières, UQAR
Dominique Beaulieu, professeure, UQAR
Danielle Boucher, professeure, UQAR
Johanne Hébert, professeure, UQAR
Emmanuelle Bédard, professeure, UQAR
Lily Lessard, professeure, UQAR
Jacynthe Dufour, chargée de cours, UQAR
Sonia Dubé, professeure, UQAR
Jean-Charles Perron, professeur, UQAT
Nancy Julien, professeure, UQAT
Sylvie Isabelle, professeure agrégée, UQAT
Manon Champagne, professeure agrégée, UQAT
Manon Lacroix, professeure, UQAT
Françoise Filion, chargée d'enseignement, McGill University
Norma Ponzoni, chargée d’enseignement, McGill University
Argerie Tsimicalis, assistante professeure, McGill University
Pierre Pariseau-Legault, professeur, UQO
Chantal Verdon, professeure, UQO
Drissa Sia, professeure, UQO
Louise Bélanger, professeure, UQO
Monique Benoît, professeur titulaire, UQO