Un accomplissement qui redonne confiance

L'estime de soi des Québécois en a pris pour son rhume au cours des dernières années. Depuis le début des années 2000, le Québec a vu son endettement exploser, ses infrastructures se détériorer, ses programmes sociaux se faire démanteler. En parallèle, nous avons eu droit à des résultats économiques très timides et, surtout, à de nombreuses révélations de corruption. Ces difficultés ont également porté atteinte à la réputation du Québec à l’étranger, et le Québec bashing en provenance du reste du Canada y est pour quelque chose. Mais l’arrestation, jeudi dernier, de sept politiciens pour abus de pouvoir et corruption nous donne de bonnes raisons de reprendre confiance en nos moyens.
Le lien entre la prévention de la corruption au sein des institutions publiques d’une nation et sa prospérité économique n’est plus à démontrer. Selon la Banque mondiale, une nation dont les institutions sont perméables aux conflits d’intérêts et à la corruption est généralement moins éduquée, dispose de moins de revenus étatiques pour investir dans les secteurs porteurs de prospérité, est moins entrepreneuriale et connaît une croissance économique moindre. Or, même si ces corrélations sont bien connues, très rares sont les pays qui parviennent à poser un geste tel que celui que le Québec a réussi à réaliser jeudi : mettre fin à l’impunité en matière de corruption politique.
S’il convient de rappeler que chacun des accusés jouit d’une présomption d’innocence, ce n’est pas le verdict qui compte ici, mais bien la capacité de notre État de déposer, lorsque c’est nécessaire, des accusations visant à faire respecter la loi, même au sein de la classe politique. Désormais, les politiciens seront moins enclins à prendre des risques, car ils sauront que nos institutions judiciaires sont assez indépendantes et stables pour agir contre eux. C’est tout le contraire de ce que la suite de la commission Gomery avait laissé comme impression, alors qu’aucun politicien n’avait été accusé bien qu’un système « bien huilé » de pots-de-vin, qui provenaient sans aucun doute de politiciens, ait été mis en lumière.
Or, le chemin pour parvenir à notre récente réussite était loin d’être évident. La société civile québécoise, de même que bon nombre de nos institutions, a démontré un courage et une persévérance exceptionnels. Rappelons que le gouvernement Charest a refusé pendant près de deux ans de tenir une commission d’enquête sur la construction, prétextant notamment qu’une telle commission nuirait au travail des policiers, ce qui était bien évidemment tout le contraire. La société civile et plusieurs institutions, dont le Barreau du Québec, ont alors insisté pour que cette Commission ait lieu. Le gouvernement Charest a finalement mis sur pied la désormais célèbre « patente à gosses », une commission d’enquête bidon qui ne respectait même pas la Loi sur les commissions d’enquête. La juge Charbonneau a réagi en mettant son pied à terre et a établi les bases d’une commission d’enquête solide. Tout récemment, la dissidence du commissaire Renaud Lachance a cherché à saboter les conclusions qui s’imposaient au terme des auditions de la Commission. Les dossiers d’enquête de l’UPAC ont également dormi pendant plusieurs mois sur le bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales, sans que l’on puisse s’expliquer ce qui se passait. Et pourtant, malgré toutes ces embûches, le travail a été fait. Pour parvenir aux accusations de jeudi, il a fallu que des citoyens, des policiers, des avocats, des juges et plusieurs autres institutions fassent leur travail avec intégrité et se tiennent debout devant la pression que pouvait exercer le régime politique. Cette réussite parle du Québec encore bien davantage que la corruption que la commission Charbonneau a pu nous révéler.
Cette résilience québécoise devant la corruption n’est pas sans faire penser à la détermination dont ont fait preuve plusieurs citoyens dans des dossiers comme celui du gaz de schiste ou, plus récemment, le dossier Transcanada, qui témoigne à nouveau d’une proximité malsaine entre notre gouvernement et certaines entreprises. Dans la mesure où la prévention de la corruption est liée à la prospérité économique, la vigilance des Québécois constitue une force qui devrait être valorisée, une source de fierté. Reste maintenant à se demander pourquoi ce talent québécois s’en tient à réagir aux scandales, plutôt que de s’investir en politique pour s’approprier le pouvoir et l’exercer avec droiture.
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