Québec est-il en train de corrompre le marché du carbone?

La compagnie Arcelor Mittal a bénéficié du Fonds vert pour faire transiter du gaz naturel liquéfié par camion jusqu’à Sept-Îles.
Photo: Source Arcelor Mittal La compagnie Arcelor Mittal a bénéficié du Fonds vert pour faire transiter du gaz naturel liquéfié par camion jusqu’à Sept-Îles.

lI y a quelque chose d’un peu surréaliste dans le débat actuel sur l’utilisation du Fonds vert pour subventionner les améliorations technologiques du secteur industriel en vue d’abaisser leurs émissions de gaz à effet de serre. Le ministre Arcand défend fièrement une subvention récente à Arcelor Mittal, à même le Fonds vert, pour faire transiter du gaz naturel liquéfié par camion jusqu’à Sept-Îles pour améliorer le bilan de GES de l’entreprise. À première vue, même si ce type de transition (le fait de passer d’une énergie fossile à une autre) nous semble peu efficace, cette décision relève d’une certaine logique. En y regardant de plus près cependant, ce subventionnement vient saper les fondements mêmes du marché du carbone qui lie le Québec, la Californie et bientôt l’Ontario, et risque de se retourner contre ses auteurs.

La base même du marché du carbone est d’inciter les entreprises à réduire fortement leurs émissions de GES en fixant un plafond d’émissions de GES, qui s’abaissera graduellement. Cela permet aux entreprises performantes, qui sont situées sous ce plafond, de vendre sur le marché des droits d’émissions. Ce qui les aide à rembourser en partie les investissements qu’elles ont faits pour être plus propres. A contrario, elles obligent celles qui ont traîné la patte à acheter des droits d’émission ou des crédits compensatoires. C’est un système basé sur les incitatifs et les désincitatifs qui est régulé par un marché.

Les revenus excédentaires issus du marché du carbone sont versés au Fonds vert et réinvestis dans la mise en oeuvre du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques. Le Fonds vise la réduction des émissions de GES, l’adaptation du Québec aux conséquences des changements climatiques, « en plus d’accélérer le virage vers une économie forte, novatrice et de plus en plus sobre en carbone ». Au plus fort du marché, Québec espère recueillir jusqu’à 800 millions par année, plus de 3 milliards d’ici 2020.

Un cercle vicieux

 

C’est là où le bât blesse. En utilisant les revenus générés par le marché du carbone et stockés dans le Fonds vert pour financer, par la porte arrière, les entreprises qui y ont contribué en raison de leurs mauvaises performances en matière d’émissions de GES, on vient pervertir le système. On joue à qui perd gagne. Le signal envoyé aux grands émetteurs est qu’on n’a pas besoin de faire de bien grands efforts, car notre paresse à innover, qui nous a conduits à payer des droits d’émission, nous sera finalement « remboursée » à même le Fonds vert pour faire les innovations qu’on a tardé à réaliser. C’est un peu comme si un automobiliste recevait une subvention pour améliorer sa conduite, prise à même les revenus des contraventions qu’il a dû payer…

La question de l’utilisation actuelle du Fonds vert soulève un autre élément essentiel : finance-t-on des mesures marginales ou des mesures structurantes ?

Prenons l’exemple de l’oléoduc de la raffinerie Valero, financé à hauteur de 6 millions de dollars par le Fonds vert. Oui, il permet de diminuer les émissions à la marge (quelques kilotonnes par année peut-être), mais à moyen terme, si l’on veut réellement respecter les engagements de Paris, ce n’est pas des kilotonnes qu’il faudra réduire, mais des mégatonnes. Dans ce contexte, il vaut mieux utiliser le Fonds vert pour réduire radicalement le parc automobile et notre consommation de pétrole raffiné.

Le Fonds vert n’est pas là pour récompenser les canards boiteux, les non-innovants ou les projets marginaux, mais pour bâtir une économie décarbonisée, financer les nouvelles infrastructures de transport collectif, les électrifier, agir sur l’aménagement des villes, aider à modifier les comportements, à déployer un nouveau modèle industriel et des emplois durables. Ce n’est pas en subventionnant la pétrolière Suncor, en finançant une entreprise de fabrication de pipeline, en songeant à subventionner à même le Fonds vert TransCanada et Ciment McCinnis qu’on arrivera à transformer en profondeur nos sociétés. Ce n’est pas comme ça qu’on relèvera le défi des changements climatiques et qu’on réduira nos émissions de 37,5 % à l’horizon 2035, comme s’y est engagé le gouvernement.

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