Le Canada doit s’ouvrir sur le monde, sans tourner le dos aux États-Unis

Justin Trudeau et Barack Obama. Le Canada est aujourd'hui susceptible de remettre en question sa vision du monde, ses stratégies de politique étrangère et possiblement ses alliances traditionnelles.
Photo: Saul Loeb Agence France-Presse Justin Trudeau et Barack Obama. Le Canada est aujourd'hui susceptible de remettre en question sa vision du monde, ses stratégies de politique étrangère et possiblement ses alliances traditionnelles.

S'il faut en croire un grand nombre d’experts, les rapports internationaux sont maintenant dictés par une multipolarité émergente, c’est-à-dire par une multiplication des puissances économiques et politiques (comme la Chine, l’Inde et la Russie), dans laquelle les États-Unis demeurent un État très influent, mais dont la puissance est en déclin.

Ces transformations sont nées de la conjonction de plusieurs facteurs, dont la croissance des nouvelles économies (que l’on désigne sous des acronymes tels que BRICS) qui ont gagné en influence pendant que les États-Unis faisaient face à la pire crise économique depuis 1929 et qu’ils dépensaient des sommes colossales dans les guerres contre le terrorisme.

La croissance fulgurante de l’économie chinoise et l’affirmation militaire de la Russie et de la Chine ne sont pas en reste, et contribuent également à ces bouleversements internationaux. Ceux-ci en inquiètent plusieurs, qui considèrent qu’un ordre international dominé par les États-Unis demeure la meilleure option pour la promotion des intérêts du Canada.

Il est donc légitime de penser que le Canada est susceptible de remettre en question sa vision du monde, ses stratégies de politique étrangère et possiblement ses alliances traditionnelles. Quel est donc l’impact de cette multipolarité sur la politique étrangère canadienne ?

Malgré l’ampleur de telles transformations et les inquiétudes qu’elles suscitent, la multipolarité n’entraînera probablement pas de changements fondamentaux pour le Canada, et ce, pour deux raisons qui sont intimement liées.

D’abord, le sous-système régional dans lequel le Canada évolue — l’Amérique du Nord — demeurera sa principale réalité économique, politique et stratégique pour les années à venir. La gestion continentale des enjeux sécuritaires, surtout depuis les attentats de 2001, et l’importance du libre-échange avec les États-Unis, qui demeurent de loin son premier partenaire commercial, ont pour effet d’atténuer les effets de la multipolarité sur le Canada. Bien sûr, il faut s’inquiéter du fait que les entreprises canadiennes aient perdu des parts de marché au profit des économies émergentes et que les exportations aient plafonné au cours de la dernière décennie. À cet égard, la diplomatie commerciale menée par le précédent gouvernement, laquelle a permis de conclure des traités de libre-échange bilatéraux (notamment avec la Corée du Sud) et multilatéraux avec l’Europe et l’Asie, permettra de résoudre une partie de ce problème.

La conclusion de ces ententes suggère que le Canada mise maintenant davantage sur une stratégie commerciale de diversification des échanges plutôt qu’uniquement sur le marché américain. Mais il faut aussi garder à l’esprit que près de 80 % de ces exportations étaient destinées à ce marché en 2015 et que, dans un contexte où le huard est relativement faible et où l’économie américaine a renoué avec la prospérité, il demeurera la source du bien-être économique des Canadiens. Bref, ce sont surtout les effets de la multipolarité sur l’économie américaine qu’il faut d’abord surveiller pour analyser la position canadienne.

Politique étrangère

 

Ensuite, l’ampleur des relations canado-américaines a souvent pour effet de ramener les politiques internationales du Canada à une dimension continentale. Autrement dit, c’est au travers de lentilles nord-américaines que le Canada doit appréhender les bouleversements mondiaux en cours.

Par exemple, lorsque Ottawa signifie son désaccord avec les positions américaines, comme ce fut le cas, sous le gouvernement Harper, à l’égard du conflit israélo-palestinien, du programme nucléaire iranien, ou encore dans le dossier de l’oléoduc Keystone XL, les responsables politiques à Washington ne manquent pas d’exprimer leur agacement. Ils rappellent que, parallèlement à ces désaccords, Ottawa cherche pourtant à avoir l’oreille attentive du pouvoir exécutif américain sur des dossiers qui concernent le commerce et la sécurité continentale. En conséquence, tout désir de se démarquer des États-Unis, même dans un contexte de déclin américain, entraîne des frictions politiques et possiblement des coûts en termes d’influence et d’accès auprès du principal partenaire et allié du Canada.

De manière paradoxale, donc, si la redéfinition de la politique étrangère du Canada, amorcée par le gouvernement Trudeau, doit impérativement prendre en considération la montée en puissance de rivaux sur la scène internationale, ceci doit être fait au travers du prisme de sa relation incontournable avec les États-Unis. Dès lors, le repositionnement du Canada sur une foule d’enjeux, des tensions en mer de Chine aux conflits au Moyen-Orient, en passant par la gouvernance en Arctique, se doit de concilier un désir louable d’indépendance avec la réalité de la primauté des relations canado-américaines.

Cette réflexion s’inscrit dans le cadre d’un colloque sur la place du Canada dans le monde, tenu à l’UQAM ce vendredi.

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