S’attaquer au système de protection de la jeunesse, c’est se tromper de cible

Photo: Marco Fortier Le Devoir

Travailleuse sociale sur une réserve autochtone en territoire cri depuis juin 2014, je travaille en contexte volontaire auprès des familles et plus particulièrement des enfants âgés de 0 à 9 ans. Depuis mon entrée en fonction, j’ai travaillé en partenariat avec la protection de la jeunesse locale et régionale à maintes reprises.

L’article du Devoir relate les propos de la présidente de la FAQ, qui sont totalement déconnectés de la réalité du terrain lorsqu’elle compare les rares placements d’enfants hors communauté aux pensionnats. Rappelons que lorsque les enfants étaient arrachés à leur famille, il n’y avait pas d’interventions préalables, et ces enlèvements étaient effectués avec violence dans un objectif de colonisation. Si la loi de la protection de la jeunesse présente en effet des lacunes quant à son application au niveau des réserves, n’oublions pas que les travailleuses sociales et les familles sont actrices du processus. J’ajouterais que les intervenantes sont plus souples dans l’application des mesures, parfois au détriment de l’enfant. Je n’exclus pas la présence d’une dynamique postcoloniale entre intervenantes non autochtones et familles autochtones, mais de là à comparer cela au génocide culturel des écoles résidentielles… il ne faut pas exagérer.

J’ajouterais que les familles d’accueil ne sont pas suffisamment nombreuses sur les réserves pour accueillir tous les enfants qui en ont besoin. Certaines familles ont plusieurs enfants en placement en plus des leurs et sont quand même sollicitées pour en accueillir davantage. De plus, ces familles ne reçoivent pas le soutien et la formation nécessaires pour accueillir ces enfants. Certaines ne sont même pas évaluées au préalable.

Toujours d’après l’article, Mme Michel ajoute que le problème est plus criant dans les communautés qui n’assument pas elles-mêmes les services de protection de la jeunesse. Sur ma réserve, la DPJ est locale, les familles sont prises en charge par du personnel non qualifié et très peu encadré. Rappelons qu’une travailleuse sociale formée et membre de son ordre professionnel est régie par un code de déontologie, doit être en formation continue, répondre à des standards de pratique et peut être évaluée en tout temps. Ces travailleurs sans formation préalable et issus de la communauté sont-ils vraiment les personnes idéales pour intervenir auprès d’une clientèle aussi vulnérable et complexe que les enfants ?

Comment éviter les conflits d’intérêts lorsque les travailleurs reçoivent des signalements concernant leur famille, leurs voisins, leurs amis ou leurs collègues de travail ? N’oublions pas que nous travaillons dans des contextes où tout le monde se connaît et où beaucoup de personnes sont liées par le sang. Sans remettre en question la bonne foi de ces employés, j’ai moi-même été témoin de situations inacceptables qui pourtant se répètent depuis des années : familles d’accueil non évaluées, inaction dans plusieurs dossiers de négligence sévère, période d’évaluation prolongée, dossiers fermés sans enquête… J’ajouterais que les familles auprès desquelles je travaille ne sont pas plus satisfaites du service de protection de la jeunesse offert par la communauté, bien au contraire. Les enfants sont l’avenir du peuple. Négliger les services de protection, c’est négliger de futurs diplômés et travailleurs qui viendront ensuite en aide aux prochaines générations.

Finalement, on dit souvent que la Loi sur la protection de la jeunesse demande aux familles d’accueil d’offrir une chambre individuelle aux enfants. Je n’ai personnellement jamais fait face à cela. Quoi qu’il en soit, je nous invite à observer le problème dans l’autre sens : le fait que les familles vivent à 12 et parfois plus dans une maison insalubre puisqu’il n’y a pas assez de maisons pour tout le monde.

N’est-ce pas là plutôt le problème ? S’attaquer au système de protection de la jeunesse, c’est se tromper de cible. Si les problèmes présents sur les réserves sont le résultat des pensionnats, je crois qu’il est maintenant grand temps de s’attaquer à la question des réserves.

Le déclencheur

« Et on recommence le même processus qu’on a vécu avec les pensionnats : la coupure familiale, la coupure avec la vie communautaire, la coupure avec la langue, la coupure avec la culture. » Propos de Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec, tenus dans Le Devoir du 16 décembre (« Kelley rejette le parallèle entre la DPJ et les pensionnats autochtones »)


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