Visa le noir, tua le blanc

Le premier ministre Philippe Couillard a participé activement à la rencontre internationale sur les changements climatiques qui s’est tenue à Paris au début de décembre 2015. Cette rencontre lui a donné accès à une tribune privilégiée pour énoncer la cible visée par son gouvernement, qui est de baisser les émissions québécoises de gaz à effet de serre (GES) de 37,5 % en 2030 par rapport à celles de 1990. Cette cible est très ambitieuse puisque les émissions en 2012 ont chuté de seulement 8 % par rapport à 1990. Le Québec s’engage donc à éliminer à la fin des 15 prochaines années un volume d’émissions de GES trois fois plus important que celui évité au cours des 25 dernières années.
La tâche est d’autant plus ardue que 44,7 % des émissions totales provenaient de la consommation de produits pétroliers par le secteur des transports en 2012 et que tous les modes de transport s’appuient encore presque exclusivement sur l’usage de produits pétroliers. De plus, cette consommation est en croissance depuis 1990. Deux dossiers reliés à l’industrie pétrolière sont régulièrement les sujets de débats publics et ils créent des difficultés au gouvernement de monsieur Couillard, qui peine à énoncer des positions claires et définitives à leur sujet : il s’agit de l’exploitation du pétrole en territoire québécois, particulièrement à Anticosti, et du projet d’oléoduc Énergie Est de TransCanada, qui permettrait au pétrole albertain de cheminer jusqu’à des points de raccordement maritime au Québec et au Nouveau-Brunswick. Compte tenu des engagements pris par le gouvernement du Québec à l’égard de la réduction accélérée des émissions de GES, il semble que, pour être cohérent, il faudrait rejeter l’un et l’autre projet. Cette conclusion suit-elle nécessairement ? C’est la question analysée dans les lignes qui suivent.
Problème planétaire
Les études scientifiques montrent que le réchauffement climatique en cours résulte surtout de l’usage des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) depuis l’avènement de l’ère industrielle. Il s’agit d’un problème planétaire puisque les GES, une fois émis, contribuent au réchauffement climatique, quelle que soit leur origine géographique. Le problème est majeur, car les énergies fossiles fournissent 75 % de la consommation mondiale d’énergie. Les émissions de GES associées aux énergies fossiles proviennent de l’usage de ces dernières, c’est-à-dire de leur consommation. Les énergies fossiles sont produites pour répondre à cette demande. C’est la baisse de la consommation qui entraînera la réduction des émissions.
L’interdiction ou la baisse mandatée de la production de pétrole au Québec aura très peu d’effets sur le niveau global des émissions de GES à l’échelle mondiale puisque la consommation québécoise de produits pétroliers ne sera pas affectée : les Québécois continueront de consommer du pétrole extrait ailleurs. La dégringolade actuelle du prix du pétrole, causée par la surabondance de l’offre, nous indique que les réserves pétrolières ne sont pas sur le point de s’épuiser. C’est la consommation des produits pétroliers qui doit être directement visée pour réduire les émissions de GES.
L’instrument politique choisi par le gouvernement du Québec pour réaliser l’objectif de réduction des émissions de GES est la participation au marché des permis d’émission de GES créé par la Californie. Il y a un prix associé aux émissions de GES et ce prix est transmis aux consommateurs. L’existence d’un tel marché assure la cohérence des décisions pour l’ensemble des participants. Ce marché a été instauré par le gouvernement du Québec, et sa responsabilité première est de s’assurer que toutes les émissions ayant lieu sur son territoire sont prises en compte. La production et le transport de pétrole doivent être soumis aux mêmes règles. Une intervention spécifique dans ces secteurs indique soit une faiblesse du cadre réglementaire, soit la présence d’une décision arbitraire.
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