La Caisse de dépôt doit désinvestir

Le Devoir rapportait mercredi que la Caisse de dépôt et placement du Québec était en dialogue avec d’autres investisseurs institutionnels québécois afin de déterminer la meilleure manière d’analyser l’empreinte carbone de leurs portefeuilles d’investissement. Nous accueillons favorablement ce qui semble être une préoccupation sincère envers les émissions associées à leurs investissements. Cependant, sachant que la Caisse accumule déjà des milliards en pertes dans les énergies fossiles, elle ne doit pas se contenter de parler, mais bien passer à l’action, et vite.

La communauté scientifique est claire sur le réchauffement climatique : il y a urgence. L’intention des compagnies exploitant les énergies fossiles est aussi claire : brûler tout le combustible possible. Une autre évidence s’ajoute : les solutions existent. Les énergies renouvelables délogent les unes après les autres les carburants fossiles de niches où elles dominaient autrefois. Au passage, les compagnies exploitant les énergies fossiles accumulent les pertes financières, les restructurations massives et les faillites.

La montée en force des énergies renouvelables et des économies d’énergie a entraîné une baisse du recours au charbon, au pétrole et au gaz, ce qui a contribué en partie à la chute de leur valeur. Les émissions associées au charbon ont commencé à chuter en 2014, phénomène qui s’est poursuivi en 2015. Les engagements de 150 États à limiter leurs émissions en vue de la COP21 à Paris ne feront qu’accélérer cette tendance lourde. Le temps où la communauté mondiale réfléchissait au problème en laissant augmenter, impuissante, les émissions de gaz à effet de serre est révolu.

En annonçant l’intention d’étudier les meilleures méthodologies pour analyser les émissions associées à ses investissements, la Caisse a le mérite de commencer à s’intéresser au rôle qu’elle joue dans le phénomène des changements climatiques. C’est bien, mais c’est loin d’être suffisant. L’heure n’est plus aux analyses méthodologiques, mais aux gestes courageux. Dans le monde de la finance, 479 fonds ont déjà choisi de désinvestir progressivement du secteur des énergies fossiles. En Norvège, le plus grand fonds souverain du monde (d’une valeur de 1100 milliards) a annoncé son retrait complet du secteur du charbon. La capitale du pays, Oslo, est actuellement en voie d’éliminer du fonds de pension de ses employés tous les actifs liés aux énergies fossiles. C’est aussi le cas de l’État de la Californie, qui a récemment adopté une loi obligeant ses deux plus grands fonds de pension (CalPERS et CalSTRS) à désinvestir du charbon. La Caisse de dépôt doit entrer dans le XXIe siècle et rejoindre ces leaders.

Le pire, c’est que la présence importante de la Caisse dans le secteur des énergies fossiles nous coûte des milliards de dollars. La firme Morgan Stanley Capital International (MSCI) a mis en place un indicateur boursier retraçant l’évolution des 9500 plus importantes compagnies enregistrées sur les marchés boursiers. Ces placements représentent 35 000 milliards. De cette somme, 7 % se retrouvent dans les énergies fossiles. L’analyse de l’évolution de cet indicateur boursier entre novembre 2010 et septembre 2015 a démontré que le rendement est supérieur de 8,2 % lorsque l’on exclut les placements liés aux énergies fossiles. En appliquant ce chiffre aux 73 milliards que possédait la Caisse dans le marché des actions à la fin 2010, on peut raisonnablement estimer une perte de rendement de 6 milliards de dollars. En tant que déposants de la Caisse, les Québécois et les Québécoises doivent s’inquiéter de cette situation.

Questionnée sur le bien-fondé d’une stratégie de désinvestissement, la Caisse répondait qu’elle préférait maintenir ses investissements dans l’espoir d’influencer les entreprises en question. Cette approche est non seulement dépassée, elle est surtout naïve. Les gestionnaires de la Caisse peuvent-ils nommer une seule entreprise ayant décidé de se retirer du secteur des énergies fossiles sous leur « influence » ? Pour résoudre un problème, il faut investir dans les solutions, pas dans les problèmes.

Nous enjoignons à la Caisse de publier sans délai ses investissements dans les énergies fossiles et de se joindre aux leaders du monde de l’investissement en s’engageant à délaisser immédiatement les secteurs dépassés, en commençant par le charbon, puis les autres énergies fossiles. Au-delà de l’enjeu financier se pose une question éthique : et si, au lieu de financer la détérioration de l’environnement, notre épargne collective était mise au service de la transition écologique ?

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