Personne n’a déchiré sa chemise

D'emblée, je vous dis d’abord que je suis un fan de madame la bâtonnière Lu Chan Khuong. Telles sont mes convictions, je ne les cache pas. Certains les partagent, d’autres ne les partagent pas. Et c’est ainsi. J’ai travaillé très fort à son élection et j’ai travaillé très fort à la préparation de l’assemblée extraordinaire tenue le 24 août. Suis-je satisfait des résultats ? Oui, assurément, mais pour mon propos, cela importe peu.

Ceci dit, parlons de cette assemblée tenue lundi dernier. Si j’ai honte de mon institution et des événements en cours, je suis néanmoins très fier des avocats. Près de mille d’entre eux étaient réunis dans une salle, en assemblée extraordinaire et peut-être « historique », il faut le faire. Cette assemblée que nous craignions houleuse s’est déroulée dans un climat décontracté, un climat de respect et de sérénité extraordinaire. Il faut que ce soit dit. Il aurait été facile de chahuter, de personnaliser, de médire, d’engueuler ou d’accuser. Bien sûr, des coups ont été portés, c’était inévitable.

Mais c’était à visage découvert, c’était propre. J’ai rencontré des confrères et consoeurs qui ne partagent pas mes opinions, mais ceci est fait avec le plus grand respect réciproque. Notre métier d’avocat, quand il est bien pratiqué, ne fait pas de nous des ennemis, mais des adversaires redoutables. Nous confrontons des idées, nous opposons des concepts, nous argumentons, nous interprétons le législateur, nous faisons de la prévention, nous réglons des conflits, nous obtenons justice ou réparation pour notre client. Lorsque nous dépersonnalisons le conflit pour l’élever à un niveau supérieur, au niveau de la règle de droit, les avocats deviennent des confrères et des consoeurs.

Logistique

 

L’honorable juge Pierre Dalphond et son secrétaire monsieur Michel Lespérance ont fait un travail remarquable. Il n’y a pas eu d’étincelle ni d’escarmouche. Au pire et à peine, quelques petites avocasseries bien justifiées, mais qui n’ont jamais mis à bout de patience les avocats présents. (Mettez mille avocats dans une salle et vous savez que tout peut arriver.) Nous avions une belle foule silencieuse, attentive et respectueuse. Chapeau à ceux qui se sont présentés au micro, chapeau à ceux qui se sont mouillés. Les arguments se sont situés presque toujours au niveau du droit, bien peu au niveau des perceptions ou des sentiments.

Chapeau aux presque mille avocats qui se sont déplacés à partir de l’Abitibi, du Bas-Saint-Laurent, de la Côte-Nord, de l’Estrie et de l’Outaouais. Bien sûr, tous ne pouvaient être présents. Nous pouvons avoir un tas de raisons valables pour avoir été dans l’impossibilité d’y assister ; des raisons personnelles, familiales, professionnelles ou de santé, des conflits d’horaire, des engagements. Et que dire de ceux qui pratiquent dans environ 80 pays différents autres que le Canada. Et de ceux qui sont en vacances ou en voyage.

Je suis néanmoins persuadé que le Barreau aurait pu mettre sur pied quatre ou cinq points de vidéoconférences pour mieux servir ceux de l’extérieur qui ne pouvaient se déplacer à Laval. Le Barreau s’est focalisé sur les problèmes de logistique plutôt que sur les solutions. C’est regrettable. J’ai toujours pensé que nous, avocats, sommes des gens de solution — n’est-ce pas notre métier ? Les gestionnaires du Barreau bénéficiaient pourtant de presque un mois pour la préparation de cette assemblée.

Beaucoup d’intervenants ont souhaité de nouvelles élections pour tous les membres du CA. Le vice-président a mentionné que la législation ne le permet pas. Parfait. Mais est-ce possible de faire adopter un décret qui le permettrait relativement rapidement ? À problème ou situation exceptionnelle, solution exceptionnelle ! Est-ce possible d’obtenir une dérogation ? Est-ce possible par entente privée et sous l’autorité et l’aval de l’Office des professions de procéder à de nouvelles élections ? Cela en toute légalité ? Je ne suis pas persuadé que nous avons évalué sérieusement toutes les options.

Démission

 

À défaut de pouvoir véritablement retourner en élections, les membres du CA qui se déclareront en leur âme et conscience incapables de travailler avec madame la bâtonnière n’auront d’autre choix que de démissionner. Le 22 mai dernier, Me Khuong a été élue à 62,9 % des voix avec une majorité de 2683 votes. À l’assemblée extraordinaire, mieux, 68 % ont réitéré le fait que Me Khuong a la légitimité nécessaire pour occuper le poste de bâtonnière. Sérieux signal, n’est-ce pas ? Et s’il y avait de nouvelles élections, je suis convaincu que Me Khuong obtiendrait encore un résultat supérieur. D’ailleurs, parmi les intervenants qui ont pris le micro ou qui ont demandé la tenue d’une assemblée extraordinaire, plusieurs ont dit qu’ils n’avaient pas voté pour la bâtonnière, mais qu’aujourd’hui, ils l’appuient. C’est tout dire.

Dans une entrevue à la télévision, questionné à propos des recommandations que pourrait faire le troisième comité d’éthique et de déontologie appelé à se pencher sur les événements que nous connaissons tous, le vice-président avait mentionné sans détour que ce serait le CA qui déciderait de la suite des choses. Cette fois-ci, à l’assemblée, ses propos ont été un peu plus nuancés. « Nous vous avons entendus », a-t-il dit. Est-il inutile de dire que les membres du CA doivent être à l’écoute des membres du Barreau qui les ont élus ?

L’assemblée générale extraordinaire a aussi nécessité des travaux préparatoires avec monsieur le juge Dalphond. Me Antoine Aylwin représentait les membres du CA, Me Marc-Antoine Cloutier représentait les 138 signataires à l’origine de l’assemblée extraordinaire et Me Jean-Yves Côté représentait madame la bâtonnière. Personne n’a eu à déchirer sa chemise !

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