Les Québécois attendent toujours

Laurence Parent (notre photo) regrette l’absence d’une loi pour l’accessibilité et les droits des personnes handicapées au Québec.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Laurence Parent (notre photo) regrette l’absence d’une loi pour l’accessibilité et les droits des personnes handicapées au Québec.

Dimanche dernier, les États-Unis célébraient le 25e anniversaire de la Loi en faveur des Américains handicapés (Americans With Disabilities Act, ADA), une loi pour l’accessibilité et les droits des personnes handicapées. Cette loi a balisé avec succès les devoirs des secteurs public et privé à l’égard de millions de citoyens en situation de handicap. Une telle loi n’existe étrangement pas encore au Québec.

Au cours des dernières semaines, des milliers de personnes ont souligné la façon dont l’ADA a changé leur vie et celle de leurs proches. Le président Barack Obama, lui-même, a souligné l’apport extraordinaire de cette loi historique qui a permis à des millions d’Américains avec un handicap de sortir des lieux institutionnalisés, d’emprunter l’autobus, d’aller à l’école, de faire leurs courses, d’obtenir un emploi, et ce, en toute liberté et en toute dignité.

Lorsque le président Bush a mis en oeuvre cette loi, il a parlé d’une « nouvelle journée pour l’indépendance des Américains », qui pouvaient désormais traverser les portes de la liberté et entrer dans une nouvelle ère, celle de l’égalité.

Des progrès réels

 

Évidemment, bien des obstacles persistent pour garantir l’égalité des personnes handicapées aux États-Unis. Toutefois son impact est tel que même les militants les plus récalcitrants affirment que l’ADA est une nécessité.

Nul besoin de chercher bien loin pour saisir toute l’efficacité de cette loi. Dans les lieux publics, on retrouve souvent des salles de bain accessibles, des espaces réservés à bord des autobus, des services d’interprétation pour les personnes sourdes, pour ne nommer que ces quelques exemples.

Pour illustrer le succès de cette loi, Barack Obama n’a pas eu besoin de chercher un exemple bien loin : la réceptionniste à la Maison-Blanche, Leah Katz-Hernandez, est sourde. Lors de son entrevue pour obtenir le poste, elle a tout simplement pu exiger un interprète en langue des signes. Une demande qui n’a rien d’inusité aujourd’hui aux États-Unis, mais qui aurait été rejetée — de l’aveu d’Obama lui-même — sans l’ADA.

Selon le président Obama, les États-Unis se seraient privés de l’excellence de sa contribution si le pays n’avait jamais fait le choix d’abolir collectivement les barrières liées au handicap. Et cette abolition ne se fait pas toute seule, elle est impossible sans l’existence de cette loi, mais surtout, sans l’application de celle-ci.

25 ans de retard et d’indifférence

Au Québec, il existe aussi des services, mais les personnes handicapées et sourdes doivent la plupart du temps se battre pour les obtenir.

 

Au Québec, on se contente encore du « gros bon sens » : on admet que certaines barrières, qu’elles soient architecturales ou sociales, privent la société de la contribution pleine et entière de citoyens handicapés, mais on se dit que ces barrières, grâce à la simple bonne volonté des commerces, des institutions, des décideurs devraient finir par disparaître d’elles-mêmes.

Les 25 ans de l’ADA démontrent plutôt qu’il est parfois nécessaire d’encadrer légalement le « gros bon sens » si on souhaite qu’il soit appliqué. Cela veut dire avec une loi avec des mesures coercitives, des plans avec des échéanciers clairs et surtout : des pénalités si les institutions ne les respectent pas.

Obama conclut en énumérant les nombreux autres défis qui doivent encore être relevés aux États-Unis afin de parler d’une réelle inclusion des personnes handicapées. Et pendant ce temps, au Québec ?

Non seulement avons-nous 25 ans de retard, mais les politiciens restent totalement indifférents devant ce recul. On se contente de sensibiliser, plutôt que d’obliger. Et les résultats parlent d’eux-mêmes !

Pensons au Train de l’Est, inauguré il y a quelques mois, une véritable honte pour le Québec moderne avec seulement 3 gares accessibles sur 13. Soulevons l’exemple de l’hôpital de Vendôme dit « ultramoderne », inauguré avec un tunnel inaccessible. Et que dire du très humiliant dossier de la station Bonaventure, qui se contente d’une demi-accessibilité depuis dix ans, en raison de la passive inaction de l’AMT ?

Les portes de la liberté

 

Impossible de ne pas établir de lien entre ce gênant retard et l’absence de réelle mesure coercitive sur le plan légal en matière d’accessibilité : contrairement à l’Ontario, au Manitoba, aux États-Unis, à la France, le Québec n’a jamais adopté de loi-cadre sur l’accessibilité. La province s’est contentée, en 2004, de mettre à jour une vieille loi votée en 1978, la Loi visant l’intégration des personnes handicapées.

Aucune mesure coercitive n’a été ajoutée. Aucun objectif concret n’a été décidé. Cette loi désuète continuera de se fonder sur le bon vouloir, sans exiger d’échéancier propre, avec les conséquences que l’on connaît maintenant aujourd’hui.

Ce manque de vision et d’ambition nuit à l’inclusion des personnes avec un handicap et ralentit la société en la privant du précieux apport social et économique de ces citoyens. Avec un vieillissement de la population aussi prononcé au Québec, il est inconcevable que les décideurs actuels ne se penchent pas déjà sur le problème pour rattraper le retard perdu. Parce qu’une société inaccessible est une société qui fonctionne au ralenti.

George Bush père parlait en 1990 « de franchir les portes de la liberté » ; il reste encore de nombreux pas à faire avant que cette étape soit réellement franchie. Beaucoup de citoyens américains sont laissés à eux-mêmes, parfois dans la rue, en raison de leur pauvreté et de l’absence d’un système de santé efficace.

Mais sur les plans logistiques et architecturaux, les Américains font bien, en raison de leur vision et de leurs ambitions. Si le Québec souhaite devenir réellement inclusif, il doit s’inspirer de ce modèle.

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