La déclaration d'ouverture de Jacques Parizeau

Jacques Parizeau
Photo: Jacques Grenier Archives Le Devoir Jacques Parizeau

Nous reproduisons le texte intégral de la déclaration du premier ministre élu Jacques Parizeau présentée à l’occasion d’une conférence de presse hier à Québec.

Mesdames, messieurs, permettez-moi de m’adresser d’abord directement aux Québécoises et aux Québécois pour leur redire combien la confiance qu’ils ont exprimée envers nos candidates, nos candidats et notre parti lors de l’élection de lundi nous honore et combien nous avons l’intention d’être à la hauteur de leurs espoirs et de leurs attentes.

Les défis sont nombreux et celui de rétablir ce lien de confiance qui doit exister entre le gouvernement et les citoyens n’est pas le moindre. Les Québécois ont, comme nous et avec nous, le goût de bouger. Et ils l’ont d’autant plus que l’immobilisme leur coûte. Bouger, d’abord et avant tout, sur la question de l’emploi pour laquelle il faut développer, partout, des solidarités agissantes et créatrices d’emplois et d’espoir. Bouger, sur la question du décrochage scolaire. Bouger, pour assurer l’égalité des chances pour tous. Bouger, pour assainir les finances publiques. Bouger, pour donner aux régions le pouvoir et les moyens de prendre en main leur développement.

On a senti, pendant la campagne électorale, une impatience à cet égard. Une impatience que nous partageons. C’est pourquoi mon équipe de députés et moi-même sommes déjà à pied d’oeuvre dans cette période de transition qui précède la formation du gouvernement.

Le premier geste du nouveau gouvernement sera de faire en sorte que les régions soient dorénavant dotées d’une voix forte et efficace, jusqu’au sommet de l’appareil politique, jusqu’au bureau du premier ministre. Il faut que l’information puisse circuler vite et sans embûches administratives ou hiérarchiques, de Gaspé ou de Rouyn-Noranda jusqu’au chef du gouvernement, et il faut que cette information soit portée par quelqu’un qui se fait l’avocat des régions, quelqu’un qui en fait sa responsabilité personnelle et qui réponde directement aux électeurs et aux partenaires de chaque région.

Traditionnellement, les gouvernements ont affecté beaucoup de ressources, par la voie des adjoints parlementaires, aux ministères sectoriels. Il m’apparaît que toutes ces énergies serviraient mieux si elles étaient tournées vers les régions. J’entends donc créer le poste de délégué régional. Ces délégués, un par région, seront choisis parmi les députés ministériels et ils auront pour mandat de représenter et de relayer, à Québec, les attentes, les propositions, les ambitions des régions. En tant que premier ministre, je présiderai, en plus du Conseil des ministres, les réunions des nouveaux délégués régionaux.

Le mandat de ces délégués régionaux sera quadruple:

 

Établir le lien entre le premier ministre et leurs régions pour tout dossier régional à caractère gouvernemental.

Agir comme interlocuteurs privilégiés des ministres sectoriels pour les dossiers gouvernementaux de leurs régions.

 

En collaboration avec le ministre responsable du Développement régional, les délégués du premier ministre en région travailleront à l’élaboration d’une politique réelle de décentralisation.

À titre d’adjoints parlementaires du premier ministre, les délégués pourront répondre aux questions soulevées à l’Assemblée nationale qui concernent spécifiquement leurs régions.

Le ministre responsable du Développement régional siégera, avec moi, aux réunions des délégués régionaux, qui pourront aussi, au besoin, requérir la présence des ministres sectoriels dont les dossiers ont un impact dans les régions du Québec.

 

Ces délégués disposeront d’un secrétariat commun, à Québec, le Secrétariat aux Affaires régionales. Chacun sera appuyé par le secrétaire adjoint pour la région concernée.

Nous avons beaucoup parlé, pendant la campagne, de la revalorisation des régions que nous voulons amorcer. Au cours des semaines et des mois qui viennent, plusieurs autres volets viendront s’ajouter à ce premier geste. Mais les régions savent dès maintenant qu’elles auront une porte d’entrée directe au bureau du premier ministre et au Conseil des ministres, ce qui sera notamment essentiel pendant l’élaboration de la décentralisation que nous ferons, bien sûr, en concertation avec les partenaires régionaux.

Le second grand message que nous a donné l’électorat lundi, c’est aussi celui de préparer la décision référendaire. Nous avons l’intention, là aussi, de bouger et de donner aux Québécois tous les éléments nécessaires pour poser un jugement éclairé, dans les délais que nous avons indiqués. C’est un peu comme si les Québécois nous disaient: «Vous vouliez nous convaincre de faire la souveraineté, bien voilà, on vous a portés au pouvoir, on vous écoute.»

Nous savons qu’un grand nombre de Québécois, et de façon bien plus déterminée qu’en 1980, ont d’ores et déjà fait le choix de la souveraineté. Nous constatons aussi qu’un autre large segment de la population souhaite obtenir une très vaste autonomie pour le Québec, allant jusqu’à faire en sorte que le Québec vote toutes les lois qui s’appliquent sur son territoire, perçoive tous les impôts que versent les contribuables, signe tous les traités qui nous concernent. Mais le vieil espoir d’obtenir plus d’autonomie pour le Québec au sein du Canada est éteint. Hier encore, le premier ministre canadien disait clairement qu’il n’était pas question de faire des offres de réforme constitutionnelle au Québec et il reflétait en cela un très vaste consensus canadien, consensus qui s’est exprimé au moment de Meech comme au moment de Charlottetown. Ce même refus «d’accommoder le Québec», comme on dit au Canada anglais, fait en sorte que depuis maintenant 12 ans, le Canada est doté d’’une constitution qu’ont refusé de reconnaître tous les gouvernements québécois. C’est un peu comme si un contrat avait été modifié sans l’accord d’une des parties.

Notre tâche, donc, est de convaincre ces Québécois qui ont le goût et la volonté de prendre en main leur destinée qu’il n’y a qu’une façon d’être plus autonome, c’est d’être souverain. Bref, notre tâche est de faire en sorte que ces Québécois tirent les conclusions de leurs convictions.

C’est une démarche que nous voulons accomplir de manière responsable et de façon solidaire. Solidaire avec tous ceux qui, au Québec, sont déçus du fédéralisme, et avec tous ceux qui sentent ou qui savent que l’avenir du Québec passe par la souveraineté. À cet égard, j’ai appelé ce matin le chef du Parti de l’Action démocratique, Mario Dumont, qui partage ces convictions, pour le féliciter de sa victoire dans sa circonscription de Rivière-du-Loup et pour le féliciter aussi des résultats obtenus dans plusieurs circonscriptions par sa formation. Voilà, aussi, des électeurs qui rejettent le statu quo et en ont assez de l’impasse canadienne. Il faut en prendre bonne note.

Au coeur du projet souverainiste

 

Je sais qu’aujourd’hui un certain nombre de représentants de la presse étrangère sont à l’écoute, sans parler du corps diplomatique. J’aimerais donc réitérer brièvement, et à leur intention, certains des principes qui sont au coeur de notre projet souverainiste.

La souveraineté telle que nous la concevons est le contraire du repli sur soi. Les Québécois ont formé, en Amérique du Nord, l’électorat le plus favorable au libre-échange, d’abord avec les États-Unis, puis avec le Mexique. Les adultes québécois forment le groupe le plus bilingue d’Amérique du Nord et nous avons l’intention d’intensifier encore nos efforts en ce sens. Ouverts sur le monde, en prise directe sur deux civilisations, les Québécois importent et exportent avec succès des produits industriels et culturels.

La souveraineté du Québec, c’est le prolongement de cette volonté d’ouverture, de participation au concert des nations, aux échanges des idées, des cultures et des produits. Nous voulons devenir pleinement citoyens du monde, sans intermédiaire et sans compromis boiteux, sans animosité et sans agressivité.

Formant nous-mêmes une minorité au sein d’un pays, le Canada, qui ne reconnaît pas officiellement notre existence en tant que nation, que peuple ou même que société distincte, nous sommes extrêmement sensibles aux problèmes de nos propres minorités au Québec et nous avons l’intention d’être irréprochables à ce sujet.

C’est ainsi que les militants du Parti québécois ont inscrit dans leur programme politique, et qu’aujourd’hui, en tant que premier ministre élu, je réaffirme, notre engagement à enchâsser dans la constitution d’un Québec souverain plus de droits pour la minorité anglophone du Québec, plus de droits que jamais la loi fondamentale du Canada n’en a proposés pour les francophones du Canada.

La presse internationale et du reste du Canada

 

L’élection de lundi a suscité un grand intérêt dans la presse internationale et, bien sûr, du reste du Canada. Sur quelques questions essentielles, je veux être bien compris par ses représentants, ainsi que par nos concitoyens anglophones et vous me permettrez de leur parler directement pour quelques minutes en choisissant mes mots, en langue anglaise.

Sovereignty as we conceive it is the opposite of turning inward upon ourselves. Quebeckers have shown that they are, in North America, the electorate most favorable to free trade, first with the US, then in NAFTA with Mexico. We find more bilingual adults in Quebec than in any other area in North America. Open on the world, avid consumers and exporters of products cultural or industrial in both the French and English worlds, Quebeckers long to be more of a presence in the world, not less.

 

Sovereignty is thus a way to be present, fully, in the modern world of ideas, culture, commerce and politics, to speak in our own voice, in good intelligence with its neighbours and partners, on the continent and elsewhere.

We are fully aware of our responsibility, as a government proposing sovereignty to its people, of keeping this debate in the confines of a civilized, democratic — if heated — debate.

Because we have been for so long a minority in a country that refuses to this day to recognize officially our existence as a nation, or a people, or even a distinct society, we are extremely sensitive to the fate of minorities in Quebec. And we intend to be beyond reproach on that score.

 

In order for members of the Anglophone community to continue their vibrant contribution to Quebec life, they need the possibility to live fully right in their own language. The right to be educated in English in institutions under their control, the right to receive medical care in their language, the right to have access to courts of law in their language and the right to express themselves in the language of their choice in the National Assembly. Not to mention, of course, the right to be informed and entertained, in their language. This is the situation as it stands now. We wouldn’t have it any other way. We pledge that we will keep it this way.

Our relations with the 60 000 Quebeckers members of the 11 native nations of Quebec will by guided by this same spirit. In the 1970s, Quebec was the first province in Canada to sign a modern treaty with some of its native groups. In the 1980s, Quebec was the first province to recognize that native groups formed distinct nations, within Quebec. In the 1990s we also want to be in the forefront of self-government for the native populations and we pledge to offer these communities the same or a greater amount of autonomy than anything that exists in North America.

   

Nos relations avec nos 60 000 concitoyens des 11 nations autochtones du Québec seront marquées par ce même esprit de respect et d’ouverture. Dans les années 1970, le Québec fut la première province au Canada à signer un traité moderne avec quelques-unes de ses communautés autochtones. Dans les années 1980, le Québec fut la première province à reconnaître que les autochtones formaient des nations distinctes au sein du Québec. Dans les années 1990, le Québec compte aussi poursuivre cette démarche de pionnier en accordant aux autochtones une large mesure d’autonomie gouvernementale. Nous nous engageons, à cet égard, à permettre aux autochtones québécois d’être aussi, sinon plus, responsables de leur propre développement que tout autre groupe autochtone en Amérique du Nord.

Une transition rapide et ordonnée

 

Hier, j’ai pu m’entretenir avec le premier ministre sortant, M. Daniel Johnson, qui m’a assuré de toute sa collaboration pour effectuer une transition rapide et ordonnée, dans le respect des traditions démocratiques québécoises qui sont les nôtres depuis plus de 200 ans. J’aurai le plaisir de retrouver M. Johnson dans son futur rôle de chef de l’opposition officielle et, d’un ancien chef de l’opposition à un nouveau, je lui offre mes meilleurs voeux. C’est un emploi dans lequel on ne s’ennuie pas.

Quant aux relations du nouveau gouvernement avec le reste du Canada, je dois dire d’abord que, dès hier matin, le premier ministre du Canada, M. Jean Chrétien, a communiqué avec moi. Nous sommes convenus que nous pourrions travailler sur les sujets qui concernent la gestion des affaires, et en distinguant autant que faire se peut ces affaires courantes du débat sur l’avenir du Québec, sur lequel M. Chrétien et moi ne sommes pas, c’est le moins qu’on puisse dire, sur la même longueur d’onde.

En attendant, le gouvernement du Québec ne cherche aucunement la confrontation avec Ottawa et les autres provinces. Le gouvernement québécois défendra les intérêts québécois au sein et dans le respect des institutions, et s’attend à ce qu’Ottawa respecte en retour les prérogatives et les pouvoirs du Québec.

En ce qui concerne les conférences fédérales-provinciales et les échanges de toutes sortes entre Ottawa et Québec, il n’est nullement question de les boycotter ou d’en empêcher le bon fonctionnement. Le gouvernement du Parti québécois représente les intérêts de toute la population avant, pendant et après le référendum, et nous répondrons favorablement aux invitations fédérales ou des autres provinces chaque fois que cela sera dans l’intérêt du Québec, tout simplement.

Mais le nouveau gouvernement québécois n’a pas l’intention d’attendre les conclusions de toutes ces conférences pour, je l’ai dit, faire bouger les choses et surtout, faire reculer le chômage. Avec les leviers dont nous disposons maintenant, au Québec, avec la solidarité que nous voulons susciter maintenant, au Québec, avec la volonté de changement que nous avons constatée dans toutes les régions du Québec, nous pouvons améliorer, sans tarder, la situation des Québécoises et des Québécois, remettre le Québec au travail et faire de l’emploi notre priorité. Voilà ce à quoi nous travaillons.

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