Projet de loi 42, un recul historique pour les femmes

Un silence plutôt étonnant règne sur le projet de loi 42. L’enjeu est majeur pour les travailleuses. Il s’agit de l’abolition de la Commission de l’équité salariale (CES) et de sa fusion en un organisme en relations du travail financé par les employeurs et chargé d’administrer un droit fondamental garanti par les chartes. Serait-ce que des tractations secrètes lui aient réglé son sort ? N’ai-je pas connu cela sous mon mandat : des attaques en catimini contre la pertinence de la Commission ?
Depuis 2001, l’abolition de la Commission est un sujet récurrent. Des rapports internes pilotés par des hommes concluaient au même sort, sous des prétextes budgétaires. Quelles sont maintenant les motivations de ce gouvernement ? Souscrire aux demandes des employeurs qui ne veulent pas de surveillance de l’État ? Restreindre la portée de la loi ? S’exclure à moitié comme employeur ? Ou avoir conclu une entente secrète avec des employeurs, même des syndicats, sans se soucier de la parole des femmes, en faisant miroiter que l’argent de la CSST va servir à d’autres causes ?
Un prolongement des chartes
Aucune logique n’explique une fusion aussi antinomique : normes du travail, SST et droit constitutionnel. S’il s’agit de refiler la facture aux employeurs et de permettre d’économiser 15 millions, les plus vulnérables en feront les frais. Au surplus, si la mission de l’équité salariale reste intacte, ce seront de nouveaux coûts pour les employeurs. Et ils voudront cela ?
Le gouvernement doit sauvegarder la CES. Ce faisant, il assume sa responsabilité de mettre en oeuvre des politiques sociales avec des mesures protectrices et réparatrices pour les personnes victimes de discrimination systémique. Il participe ainsi aux changements de mentalités et de pratiques.
La loi sur l’équité salariale n’est pas une norme du travail. Elle est un prolongement des chartes, tel qu’affirmé dans le jugement Julien de la Cour Supérieure en 2003. Elle vise la correction des écarts salariaux dans les entreprises. Ce faisant, elle reconnaît les représentations de sexe liées à la ségrégation des emplois et redistribue la masse salariale selon des principes d’équité et non selon le marché. Elle prend pour acquis que la culture d’entreprise et celle des syndicats ont intériorisé des critères sexistes. Inconsciemment, l’entreprise paye moins les femmes pour des emplois d’égale valeur, ce qu’une comparaison des emplois vient confirmer.
Cette loi a donc une portée quasi constitutionnelle qui dépasse l’expertise d’un Tribunal du travail. Un changement logique serait de prévoir que le Tribunal d’appel de la Commission de l’équité salariale soit le Tribunal des droits de la personne. Les juges qui y siègent sont choisis pour leur sensibilité et leur expertise en matière de droits et de discrimination.
Dangereuses dérives
Un autre changement, qui garantirait l’indépendance d’action de la présidente, serait qu’elle soit nommée par l’Assemblée nationale, sans pour autant d’être avocate. Cela la protégerait de toute ingérence de ministres ou du Conseil du Trésor. Ce qui est fondamental pour les trois membres, c’est d’avoir une expertise en évaluation des emplois, en biais sexistes, en rémunération et en relations du travail ainsi qu’une volonté de travailler à éradiquer la discrimination.
Avec une logique axée sur le travail, certaines dérives sont dangereuses dans le nouveau Tribunal administratif du travail (TAT) du projet de loi 42. Il s’agit du traitement des enquêtes par des agents de relations du travail ; la présence d’assesseurs syndicaux et patronaux ; une vice-présidence en équité sous les ordres de la présidence. De plus, on ajoute la nécessité de faire de la médiation alors que cette loi ne se négocie pas et ne se marchande pas. De plus, la complexité du sujet et les subtilités de la discrimination exigent que les décisions soient rendues à trois membres alors que le projet de loi fait référence à une seule. Rappeler enfin que cet organisme sera financé par les employeurs, au lieu des fonds publics, donne une idée du potentiel d’apparence de partialité et de conflits d’intérêts.
Tous ces aspects confirment que le registre dans lequel va travailler ce nouvel organisme s’inscrit dans un contexte de relations du travail traditionnelles. En effet, depuis sa création, la Commission a fait évoluer le droit du travail en rapport avec la primauté du droit à la non-discrimination. Ainsi, elle a rendu des décisions démontrant que, ni l’application des conventions collectives, ni une dynamique et un processus de négociation de bonne foi, ni la bonne volonté d’un employeur ne pouvaient cautionner des ententes perpétuant la discrimination salariale. Le sexisme ne s’est pas arrêté ni aux portes des employeurs, ni à celles des syndicats.
Une commission unique
Finalement, le prétexte est bon pour rappeler les spécificités de la Commission qui la rendent unique et SEULE en matière d’équité salariale. Elle a joué un rôle proactif dans la promotion de la loi, dans des outils de formation aux employeurs et dans des interprétations audacieuses de la loi qui ont fait reculer la discrimination. Par des enquêtes de sa propre initiative, elle a facilité les plaintes de travailleuses non syndiquées qui, sous anonymat, ont pu voir leur rémunération ajustée.
Il faut que la Commission de l’équité salariale continue d’exister au Québec et soit bien financée par les fonds publics, exclusivement. Le gouvernement doit en garder le leadership et continuer à travailler à sa pérennité. Nous ne pouvons pas reculer sur une question aussi stratégique et qui s’inscrit en droite ligne d’une égalité de faits pour les femmes.
J’en appelle donc à la responsabilité de l’État à l’endroit des femmes du Québec et à une cohérence du discours qu’il tient sur l’égalité. Et, si ce projet de loi 42 était sanctionné envers et contre les femmes, il est probable que l’histoire retiendra un recul historique autant des progrès réalisés, mais fragiles, que du droit à l’égalité et à l’équité dans tous ses aspects.