Un choix paradoxal de l’État québécois
Au moment où le gouvernement impose d’importantes restrictions budgétaires aux établissements de santé et de services sociaux et aux organismes communautaires, il octroie un financement considérable de plusieurs millions de dollars aux centres de pédiatrie sociale. Ce qui agace dans cette situation ? La pédiatrie sociale se présente comme une approche novatrice, comme si ces centres étaient les premiers à travailler au sein des communautés pour assurer la santé et le bien-être des enfants et pour défendre leurs droits. De plus, l’État louange ces centres et fait le choix de les financer, alors qu’il ne cesse de limiter les ressources et la marge de manoeuvre des intervenantes et des intervenants sociaux dans les établissements et dans les organismes communautaires, les forçant ainsi à s’éloigner des communautés.
Il est vrai que la pédiatrie sociale offre une option intéressante par rapport à la médecine plus traditionnelle, notamment parce qu’elle est pratiquée à l’extérieur des grands centres hospitaliers et parce qu’elle est davantage ancrée dans les communautés. Elle est aussi centrée sur les enfants, elle tente d’intervenir en amont des problèmes et elle mobilise un discours sur les droits des enfants. En ce sens, la pédiatrie sociale est une approche novatrice dans le champ de la médecine.
Toutefois, il faudrait reconnaître qu’avant, bien avant la création de la pédiatrie sociale, des intervenantes et des intervenants sociaux avaient développé et appliqué des principes similaires. Depuis des décennies, ils travaillent avec les communautés pour assurer la santé et le bien-être de l’ensemble des citoyennes et des citoyens, y compris les enfants et leurs familles, pour prévenir la dégradation de leurs conditions de vie et les problèmes qui y sont associés, pour défendre leurs droits, etc.
D’ailleurs, ces principes étaient à la base de la vision initiale des CLSC — centres locaux de services communautaires. Tous les CLSC embauchaient des organisatrices et des organisateurs communautaires, une catégorie d’intervenants qui est maintenant en voie d’extinction. En fait, le rôle des intervenantes et des intervenants sociaux en établissement (CLSC, CSSS, CJ) est de plus en plus réduit à la réalisation d’interventions ponctuelles auprès d’individus en situation de crise, sans possibilité de créer des liens significatifs ou d’agir sur les conditions sociales ou économiques qui sont souvent à la source des difficultés avec lesquelles ils sont aux prises. Il y a de moins en moins de place pour les interventions préventives, collectives ou communautaires, ou même pour les programmes d’intervention de groupes.
Il y a aussi les organismes communautaires, comme les maisons de quartier et les maisons de la famille — il existe une grande variété d’organismes communautaires, parce que les communautés peuvent avoir des besoins différents. Ces organismes sont généralement issus des communautés, pour répondre aux besoins des citoyennes et des citoyens, améliorer leurs conditions de vie, défendre leurs droits, etc. Ces organismes n’ont jamais bénéficié de la reconnaissance sociale et politique et des ressources dont disposent les centres de pédiatrie sociale. Plusieurs d’entre eux font face à des difficultés financières importantes et survivent grâce à la détermination de bénévoles et d’employés qui sont bien souvent sous-payés. Avec le gouvernement actuel, la situation ne s’annonce guère plus reluisante pour les mois et les années à venir.
Comment expliquer ce paradoxe ? Certes, il y a la popularité du Docteur Julien, ainsi que son indéniable habileté à « vendre » la pédiatrie sociale comme une approche novatrice. Mais il y a aussi le fait que les médecins continuent de bénéficier d’un plus grand poids politique que les travailleuses sociales et les travailleurs sociaux, qui sont habitués à travailler dans l’ombre, sans visibilité ou reconnaissance publique ou médiatique.
Tout semble indiquer que les centres de pédiatrie sociale vont prendre de plus en plus de place dans le paysage québécois au cours des prochaines années. S’ils travaillent réellement pour défendre les droits des enfants, espérons que les sommes importantes qu’ils reçoivent de la part de l’État et des entreprises privées n’empêcheront pas leurs représentants de dénoncer haut et fort les injustices dont sont victimes les enfants et les familles qui vivent en situation de précarité, injustices qui sont d’ailleurs accentuées par les choix du gouvernement actuel en matière de santé et de services sociaux. Considérant l’importante présence médiatique de certains d’entre eux, dont le docteur Julien, je les trouve bien timides lorsque vient le temps de s’allier à d’autres groupes pour dénoncer les choix du gouvernement et exercer des actions visant un changement social.