Copibec fait preuve de mauvaise foi

La rapporteuse spéciale Farida Shaheed a déposé le 11 mars à l’ONU son rapport thématique « Politiques en matière de droit d’auteur et droit à la science et à la culture ». Ce rapport passionnant pourrait faire réfléchir tous ceux et celles qui se sont indignés de la décision récente de l’Université Laval de se retirer de l’entente avec Copibec et qui, à l’instar des 34 écrivains mobilisés par Copibec en appui à son recours contre l’Université Laval («34 auteurs se portent à la défense de Copibec», Le Devoir, 10 mars), ont l’impression que des auteurs vont être privés de « millions de dollars » par cette université.
Que dit le rapport de l’ONU ? Il commence par rappeler la tension entre deux droits fondamentaux :
Le droit d’auteur, souvent assimilé au droit de la propriété intellectuelle qui justifie qu’une personne tire des revenus de son oeuvre culturelle ou scientifique et…
Le droit collectif à la science et à la culture, c’est-à-dire le droit de tous à « participer à la vie culturelle » et à « tirer parti du progrès scientifique et de ses applications » ; en somme, le droit d’accéder, sans barrière financière ou autre obstacle, à la science et à la culture. Ce droit fait partie du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU (1976). Comment trouver l’équilibre entre ces deux droits ?
De manière très claire, la recommandation 98 du rapport indique que « les législations sur le droit d’auteur ne devraient imposer aucune limitation au droit à la science et à la culture ». Autrement dit, les États devraient légiférer sur le droit d’auteur d’une manière qui préserve en même temps le droit collectif de leurs citoyens à la science et à la culture. Un des moyens consiste à prévoir des limitations au droit d’auteur : « 104. Les États ont l’obligation positive d’instaurer un système solide et souple d’exceptions et de limitations au droit d’auteur pour se conformer à leurs obligations au regard des droits de l’Homme. » S’il est essentiel de protéger les droits des auteurs sur leurs oeuvres, notamment celui d’en tirer des revenus, il est tout aussi essentiel de préserver le droit des citoyens d’avoir accès à la science et à la culture, y compris celui des étudiants et étudiantes d’avoir accès aux textes scientifiques nécessaires à leur formation. C’est sur cette base que la nouvelle loi canadienne du droit d’auteur autorise les universités à faire une « utilisation équitable » des oeuvres : « L’utilisation équitable d’une oeuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée, de recherche, d’éducation, de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d’auteur. »
L’Association des universités et collèges du Canada (AUCC) a déterminé qu’une utilisation équitable revient à diffuser et à reproduire gratuitement 10 % d’une oeuvre culturelle ou scientifique afin de la rendre accessible à tous. Les 90 % restants sont couverts par le droit de la propriété intellectuelle, et gérés selon la politique propre à chaque université.
Le rapport de l’ONU met également en lumière la situation particulière des universités, fort différente de celle du milieu littéraire québécois. On pourrait penser que le droit à la science y est solide puisque l’accès aux textes scientifiques est absolument nécessaire à la formation des étudiants et étudiantes et à la recherche scientifique. Or ce droit est menacé : dans un contexte où le financement des universités et de leurs bibliothèques tend à diminuer, les grands groupes d’édition qui possèdent les deux tiers des revues scientifiques ne cessent d’augmenter le prix de leurs abonnements, même quand il s’agit de revues en ligne non imprimées. Les bibliothèques ont du mal à suivre ! Ce sont principalement de ces revues que proviennent les textes proposés comme lectures obligatoires aux étudiants et étudiantes.
L’utilisation équitable de ces textes, mais aussi le recours aux revues en libre accès et aux archives numériques sont les moyens dont disposent actuellement les universités pour résister à cette marchandisation accrue des publications scientifiques et pour préserver le droit à la science des étudiants et étudiantes (et des scientifiques en général). Marchandisation qui, dans le monde scientifique, profite surtout aux maisons d’édition et très rarement aux auteurs. En effet, nombreux sont les universitaires tellement désireux de publier qu’ils n’hésitent pas à céder leurs droits aux maisons d’édition, si bien qu’ils n’en reçoivent jamais de redevances. Ces maisons d’édition tirent donc leur profit de textes qui leur sont fournis gratuitement et qu’elles revendent ensuite aux universités qui souhaitent les rendre accessibles aux étudiants et étudiantes… qui finissent par les payer à nouveau sous forme de droits de reproduction des recueils de textes !
À la différence des écrivains ou des artistes, les auteurs des textes scientifiques sont, sauf de rares exceptions, des universitaires dont les salaires, les laboratoires, les assistants, etc., sont financés par des fonds publics. Il est donc tout à fait justifié de considérer la science ainsi produite comme un bien commun qui devrait être accessible à tous les contribuables, sans barrière financière. C’est pourquoi le rapport de l’ONU, tout comme la récente politique de libre accès des trois organismes qui subventionnent la recherche au Canada, estime que « les universités publiques et privées, ainsi que les institutions publiques de recherche devraient adopter des politiques en vue de promouvoir le libre accès aux travaux de recherche, documents et données ayant fait l’objet d’une publication, sur la base d’un système ouvert et équitable, notamment grâce à l’utilisation de licences Creative Commons (113) ».
En poursuivant l’Université Laval, qui a fait le même choix que d’autres universités canadiennes, dont l’Université de Toronto, et en entretenant la confusion entre le monde universitaire et le monde culturel, Copibec fait preuve de mauvaise foi, voire de démagogie, et sème le doute quant à sa pertinence sociale.
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