Mots et maux de la religion

Antoine Robitaille me pardonnera d’utiliser sa formule, mais elle recouvre bien la prodigieuse créativité des qualificatifs employés par les médias et les partis politiques pour tenter de circonscrire des actes de violence suggérés ou commis au motif d’une conviction religieuse. J’en retiendrai trois ayant une histoire qui permet de cerner ce qu’en pratique ils ont déjà voulu dire : extrémisme, intégrisme et rigorisme. On verra qu’il n’y a rien à en tirer pour un État laïque chargé de réguler et de contrôler la violence sociale.
L’extrémisme religieux se définit au mieux en le situant par son pôle opposé, c’est-à-dire le croyant moyen observable. De tout temps les grandes traditions religieuses ont développé en leur sein des individus et des groupes qui se sont opposés à celles et ceux qu’ils percevaient comme tièdes et ont élaboré un style de vie radical permettant de pousser à l’extrême leur quête de perfection. Les communautés monastiques bouddhistes et le monachisme chrétien l’illustrent bien.
On peut donc appliquer le qualificatif d’extrémistes aux femmes qui choisissent la vie carmélite, par exemple. C’est un choix qui conteste le mode de vie majoritaire par le renoncement à la volonté propre, à l’accumulation des biens personnels et aux pratiques sexuelles. On me dira que ce n’est pas ce type d’extrémisme religieux dont on veut se protéger. Pourquoi alors utiliser le terme d’extrémisme ou son synonyme préféré de M. Coulliard, le radicalisme ?
L’intégrisme religieux est mieux connu dans notre histoire. Face à la montée du libéralisme au XIXe siècle et à la naissance d’un courant religieux souhaitant l’adaptation du catholicisme aux libertés démocratiques, les ultramontains se sont déclarés les seuls authentiques catholiques, car voulant ne rien céder de l’intégralité de sa vérité. L’intégrisme était un titre de gloire et l’est demeuré jusque dans les années soixante, ennemi qu’il était devenu alors des catholiques progressistes réunis dans la revue Maintenant.
L’État veut-il poursuivre au criminel ce type de croyants qui croient pratiquer la seule version acceptable de leur foi, qui en promeuvent le style de vie, mais s’opposent à toute violence ? Si ces croyants observent nos lois, le mot intégriste ne permet guère de guider l’intervention de l’État.
Le terme de rigorisme a été utilisé pour décrire une certaine façon d’utiliser la confession des péchés en soumettant les pénitents avouant leurs péchés graves à un test de vérité de leur décision de changer. À l’usurier du village qui venait confesser sa faute, par exemple, on refusait l’absolution de sa faute en lui disant de revenir plus tard pour vérifier s’il avait vraiment changé sa vie.
Cette procédure professionnelle s’est imposée majoritairement de la fin du XVIe siècle jusqu’à la fin du XIXe, malgré l’opposition de Mgr Bourget qui souhaitait une approche plus douce, moins rigoureuse. Le Québec n’a jamais été janséniste, mais il a longtemps été rigoriste en matière religieuse. Le rigorisme religieux n’a jamais donné lieu à des actes de violence, que l’on sache. Que vient faire ce terme dans notre débat contemporain ?
Bonne ou mauvaise religion ?
En vérité, un État non confessionnel ou laïque n’est pas capable de distinguer une bonne ou une mauvaise religion. Il ne dispose plus de l’assurance que lui donnait la religion d’État à cet égard, et c’est tant mieux pour nous. Dans la confusion actuelle des esprits et face à des violences de tous types qui se réclament de l’exception religieuse, il doit s’abstenir de qualifier des citoyens croyants avec des termes flous, impuissants à figurer dans ses interventions législatives et policières. Il dispose de deux instruments d’autorité suffisants, le Code civil et le Code criminel. Ses lois se rapportent, en dernière instance, à la volonté parlementaire et aux Chartes des droits. Les extrémistes, intégristes et rigoristes, qu’ils se réclament de la religion ou non, ne le concernent que s’ils contreviennent aux lois.
Par ailleurs, comme le phénomène religieux est une énigme au sein de nos sociétés largement sécularisées et qu’il a pris une importance géopolitique tout à fait imprévue par les Occidentaux, je crois qu’il serait opportun pour le Québec de créer un Conseil des religions et de la laïcité (ou de la non-confessionnalité de l’État) dont le mandat serait de fournir de l’expertise à l’Assemblée nationale et aux différentes instances gouvernementales.
Le Grand Inquisiteur de l’Assemblée proposé par le Parti québécois me semble vraiment d’un autre âge !
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