Des exécutions publiques évitables

L’ancien maire de Montréal, Gérald Tremblay, a annoncé sa démission le 5 novembre 2012.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’ancien maire de Montréal, Gérald Tremblay, a annoncé sa démission le 5 novembre 2012.

Les auditions publiques de la commission Charbonneau viennent de se terminer. On sait que l’exercice a anéanti la réputation de plusieurs personnes et, avec elle, leur santé, leurs emplois, leur situation financière. C’est sans parler de leur situation familiale. Plus jamais elles ne seront regardées de la même manière. Bien sûr, elles n’ont pas été judiciairement condamnées ; la commission n’a mis personne en prison. Elles n’en ont pas moins été détruites en pleine télévision, portant désormais en société le costume de détenus.

On dira : oui, mais il y en a qui méritaient leur sort. Peut-être. Je maintiens cependant que, sauf à tomber dans l’arbitraire d’un autre âge, même ces gens-là avaient droit à la présomption d’innocence et à une défense pleine et entière. On aurait pu trouver réponse à nos questions, découvrir les stratagèmes sans cela.

Il y en a eu aussi qui ont été publiquement condamnés pour des actes qu’ils n’ont pas commis. Point. On nous a dit qu’il est dans la nature même de l’action d’une commission d’enquête comme celle-là qu’elle puisse faire des victimes collatérales. Que les témoins disent ce qu’ils veulent, y compris les pires insinuations contre d’autres personnes, la commission retiendra bien ce qu’elle voudra. C’était donc inévitable qu’il y ait de telles victimes ? Qu’il y ait de telles dérives ? Je ne le crois pas. Je soutiens avec certitude que plusieurs de ces exécutions publiques auraient pu être évitées grâce à des règles de procédure plus respectueuses des droits des personnes ou tout simplement grâce à une meilleure préparation de certains témoins de la commission. Le meilleur exemple demeure celui du maire de Montréal, que l’on a forcé à démissionner […] sans que l’on daigne le contacter pour avoir sa version des faits. Imaginez un peu ce qui a pu se passer à la commission pour ceux qui n’avaient ni son poste ni son prestige.

Toute cette affaire a, c’est certain, paralysé une grande partie du Québec pendant trois ans et ça continue. Elle a détruit plusieurs compagnies de construction et sociétés d’ingénierie. Il y a certainement eu, pendant cette période, un ralentissement économique majeur dans ces secteurs importants : perte d’emplois, travaux urgents qui ne se sont pas faits, faillites de sociétés fondées depuis des décennies, vente d’entreprises québécoises reconnues, perte complète de financement pour d’autres par les banques et même par nos sociétés d’État. J’espère que tous ces effets seront correctement mesurés un jour. Que l’on ne se limitera pas à des évaluations approximatives d’une diminution à court terme des coûts pour l’État de ses travaux de construction. Que l’on étudiera aussi les conséquences à long terme du rachat à bas prix par des multinationales de nos sociétés de génie ou de construction que l’on avait mis tant de temps à bâtir.

Étions-nous si mal armés ?

Bon, on rétorquera que la commission a tout de même mis au jour des cas flagrants de collusion et de corruption dans certaines villes. C’est vrai, mais je voudrais tout de même à cet égard ajouter respectueusement un commentaire. Comment se fait-il que cette collusion et cette corruption aient pu durer des décennies dans certaines villes ? Les forces policières et le Bureau de la concurrence du Canada n’ont-ils vraiment rien pu faire pendant toutes ces années ? Étions-nous si mal armés pour faire face à ces fléaux qui existent pourtant depuis toujours, et ce, dans le monde entier ? Pourquoi devions-nous absolument donner des pouvoirs extraordinaires à une commission d’enquête pendant plus de trois ans ? Une commission d’enquête sur le travail policier fait pendant tout ce temps aurait-elle été plus utile ?

J’admets que dans la colonne des avantages, il y a le fait que l’on a pu régler en un tour de main ces cas de collusion et de corruption à Montréal et dans quelques villes. C’est très efficace une commission d’enquête avec autant de pouvoirs, c’est certain, je vous l’ai dit. En plus de punir les individus coupables, devions-nous cependant fermer ou mettre sérieusement en péril de grandes entreprises ? […]

À la fin des audiences publiques de la commission, même les journalistes ont trouvé que, sauf pour ce qui concerne Montréal, les résultats étaient minces. Les félicitations en tout cas n’ont pas fusé. On s’est même permis quelques critiques. Certains prétendent que la commission n’est pas allée assez loin : « La commission a négligé des preuves importantes », « Une mission inachevée », etc. On aurait, par exemple, absolument dû faire témoigner Marc Bibeau, l’argentier du Parti libéral du Québec, et Jean Charest. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait, clame-t-on ? Un peu plus et, dans le délire de quelques-uns, on aurait laissé entendre que la juge Charbonneau aurait été achetée.

Insatisfaits, certains ont formulé le souhait qu’il y ait une commission d’enquête forte et permanente. Une commission au-dessus des lois, de tout. Pas juste dans le domaine de la construction, mais dans tous les domaines publics et peut-être même, au besoin, privés. Une commission où on pourrait assigner qui l’on veut, quand on le veut et pour le temps qu’on le veut devant les caméras. En fait, ce seraient les médias qui, au nom du peuple, décideraient de la liste des témoins. Pour poser toutes sortes de questions et obtenir toutes les réponses sous peine de prison. Pas d’avocats en défense avec leurs avocasseries. Pour faire quoi avec ces témoins ? Pour bien vérifier s’ils sont de bons ou de mauvais sujets. Si les choses sont blanches ou noires. Aucun gris. Quelle belle téléréalité cela pourrait faire !

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