Mettre la mort en mots
L'annonce du décès de Sonia Blanchette, vendredi dernier, des suites d’une grève de la faim de plusieurs semaines, a suscité de vives réactions dans la population et les médias. En attente d’un procès pour le meurtre de ses trois enfants, la femme de 36 ans appréhendait l’idée d’une incarcération prolongée et ne voyait plus d’intérêt à continuer à vivre, selon ce qu’a rapporté Me Jean-Pierre Ménard.
Cette affaire n’est pas sans rappeler la controverse qui avait entouré la demande d’euthanasie du détenu Frank Van Den Bleeken, une semaine auparavant, en Belgique. La procédure, d’abord autorisée, avait subséquemment été annulée dans la tourmente, les responsables estimant préférable le transfert du prisonnier dans un centre psychiatrique.
Néanmoins, au-delà des apparences, ces deux cas d’espèce présentent des différences fondamentales, du moins en ce qui a trait à leur qualification en droit canadien. Encore aujourd’hui, une certaine confusion règne quant à la terminologie adéquate pour qualifier de telles situations, et une mise au point ne peut que favoriser la réflexion. Ainsi, quatre situations méritent d’être distinguées, soit l’acharnement thérapeutique, l’euthanasie, le suicide assisté et l’aide médicale à mourir.
L’acharnement thérapeutique désigne essentiellement le fait de maintenir artificiellement quelqu’un en vie, contre son gré ou sans son consentement express, tout en sachant que l’arrêt des traitements causerait presque assurément sa mort. En 1994, cette question a été résolue une fois pour toutes sur les plans théorique et légal par l’entrée en vigueur du Code civil du Québec et de ses articles 10, 11 et 13, qui permettent à tout patient, apte à consentir, de refuser un traitement. Ainsi, un tel refus ne sera légalement pris en considération que si la personne comprend la nature et le but des soins proposés, ainsi que les risques encourus s’ils n’étaient pas prodigués.
Selon Me Ménard, c’est ce droit qu’exerçait Sonia Blanchette, en dépit de l’entêtement des intervenants de l’Institut Philippe-Pinel et de la prison Tanguay. Selon ses psychiatres, celle-ci était lucide au moment de prendre sa décision. En 1992, dans une affaire similaire, la Cour supérieure avait d’ailleurs affirmé que l’alimentation est un soin de base qu’il est possible de refuser, au même titre que tout autre soin. Elle avait aussi souligné la nécessité de respecter la volonté de la personne de mettre fin à ses jours, malgré les autres obligations incombant au personnel médical.
C’est le concept d’euthanasie, à l’opposé, qui s’applique au cas Van Den Bleeken. Cette pratique, légale en Belgique depuis 2002, est définie par Éducaloi comme « un acte qui consiste à poser intentionnellement un geste dans le but de provoquer la mort d’une personne pour mettre fin à ses souffrances ». Le site du Collège des médecins précise que « généralement, pour ce faire, on procède à l’administration d’une dose mortelle d’un médicament ». Il est important de noter que le terme relève davantage d’un concept philosophique que juridique dans l’état actuel du droit canadien, puisqu’il n’y est fait référence nulle part dans le Code criminel (Ccr), le tout étant plutôt englobé dans l’article 229, soit le meurtre au premier degré.
L’expression «suicide assisté», quant à elle, désigne généralement le fait d’aider une personne à se donner volontairement la mort en lui fournissant des moyens ou de l’information sur la manière de procéder. Là encore, c’est un acte criminel en vertu de la législation fédérale (art. 241, Ccr). La Cour suprême du Canada s’était penchée sur la question en 1993, dans la célèbre affaire Rodriguez. Cinq des neuf juges avaient alors conclu que l’interdiction du suicide assisté était constitutionnelle, en regard de la Charte canadienne. Bref, bien qu’ils aient déterminé que l’article 241 privait Mme Rodriguez « de son autonomie personnelle et lui [causait] des douleurs physiques et une tension psychologique d’une façon qui porte atteinte à la sécurité de sa personne », cette atteinte ne constituait pas à leurs yeux une violation des principes de justice fondamentale. Néanmoins, la problématique a récemment ressurgi devant la plus haute instance du pays, avec l’affaire Carter ; une décision est attendue au cours de la présente année.
L’aide médicale à mourir est le dernier scénario généralement mentionné. Prévue dans la Loi sur les soins de fin de vie adoptée par Québec en juin dernier, cette procédure ne peut être accomplie que par un médecin et uniquement dans un cadre précisément délimité. En effet, seule une personne atteinte d’une maladie grave, incurable, dont les capacités déclinent de manière irréversible et qui éprouve des souffrances insupportables pourrait s’en prévaloir. De plus, le processus impose des obligations strictes au médecin, dont l’évaluation du consentement et de l’avancement de la maladie, ainsi que la consignation de la procédure. L’ensemble des conditions doivent être remplies, sans quoi le médecin ne peut procéder.
Le choix des termes du projet de loi a d’ailleurs été discuté en profondeur à chacune des étapes du processus législatif. La ministre responsable du dossier à l’époque, Véronique Hivon, avait alors tenu à préciser que l’usage de l’expression « aide médicale à mourir » « ne constitue d’aucune manière un euphémisme pour désigner l’euthanasie » qui, selon elle, « ne sous-entend ni le contexte médical, ni l’exigence que la demande vienne expressément de la personne elle-même ». Non seulement cette catégorisation met elle en cause certaines considérations délicates en ce qui a trait au partage des compétences — lesquelles sont trop complexes pour être abordées ici en détail —, elle est inévitablement ardue de par les innombrables nuances qu’elle implique et la gravité de la matière à cerner.
Comme quoi, devant l’angoissant questionnement de la mort, l’être humain cherche encore ses mots.