Écoles privées: le dilemme des progressistes

Des élèves du Collège Reine-Marie, un établissement privé de Montréal
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Des élèves du Collège Reine-Marie, un établissement privé de Montréal

Le gouvernement du Québec jonglerait avec l’idée de réduire de 50 % le financement des écoles privées. Si l’on considère généralement que 60 % du financement des écoles privées est public, un rapport récent démontre qu’il peut atteindre 75 %. Le financement de l’éducation primaire et secondaire est un terrain de jeu idéal pour la gauche et la droite.

La gauche soutient généralement que le système d’éducation doit favoriser l’égalité des chances et, par conséquent, être public et à « une seule vitesse ». Puisque les écoles privées, principalement parce qu’elles attirent les meilleurs élèves et enseignants, offrent un environnement plus stimulant, les jeunes qui les fréquentent partent avec une longueur d’avance. Un système à « deux vitesses » contribue ainsi à la production des inégalités. C’est pourquoi l’État devrait mettre un terme au financement public de l’école privée. Des inégalités subsisteront peut-être toujours, mais l’État ne doit pas favoriser leur accentuation.

La droite est divisée. Il y a consensus au sujet de l’idée que l’État doive oeuvrer en faveur de la liberté des parents ; la possibilité du « libre choix » doit être réelle. Cela peut signifier que l’État permette la création d’écoles privées non subventionnées et qu’il encourage la concurrence entre les écoles. La concurrence favorise l’excellence, ainsi que l’élargissement de la gamme de choix des parents. Les écoles privées doivent être permises mais non subventionnées, la droite s’opposant généralement à l’interventionnisme.

D’autres à droite considèrent plutôt que le maintien d’un système privé accessible est nécessaire à la concurrence. Il faudrait continuer à subventionner le privé afin que ce dernier tire le public vers le haut en rivalisant pour sa clientèle et en lui offrant des modèles à suivre. De plus, comme le public n’offrirait pas assez d’options, le financement des écoles privées serait justifié.

Que faut-il penser de tout ça ? Mon intuition première est que l’État ne devrait pas financer les écoles privées. Les perspectives d’avenir des enfants étant déjà influencées par des facteurs arbitraires, comme le milieu familial et le bagage génétique, les institutions publiques doivent contribuer à niveler les chances. Le système scolaire doit favoriser la mobilité sociale ascendante, et non la reproduction des classes sociales.

Les choses ne sont toutefois pas si simples. Outre l’enjeu du coût du transfert des élèves du privé au public, la question qui me trouble relève du principe et de la vision du vivre-ensemble. L’égalité des chances n’est pas le seul principe en cause. Des principes comme la liberté individuelle, la liberté d’association et le droit qu’ont les parents de prendre des décisions structurantes pour l’avenir de leurs enfants font en sorte que l’État peut difficilement aller jusqu’à interdire la création d’écoles privées. L’État peut refuser de les subventionner et imposer un programme d’études et des examens uniformes, mais il me semble excessif de penser que l’État peut aussi imposer les moyens de la scolarisation obligatoire.

Autrement dit, l’État peut s’assurer que les enfants soient scolarisés, mais il ne peut empêcher ni la création d’écoles parallèles ni même l’éducation à la maison sans faire preuve d’autoritarisme. Bien que cela puisse paraître hyperbolique, J. S. Mill formulait ainsi dans ses Principes d’économie politique l’inquiétude eu égard au monopole étatique en éducation : « Il n’est pas tolérable qu’un gouvernement ait un contrôle complet sur l’éducation des gens. Posséder ce contrôle et surtout l’exercer est le propre d’un comportement despotique. Un gouvernement qui puisse mouler les opinions et les sentiments des gens depuis l’enfance jusqu’à la jeunesse peut faire avec eux ce qu’il veut. » D’ailleurs, tant le droit international que la Loi sur l’instruction publique reconnaissent une certaine autonomie éducative aux parents.

Bref, il semble bien difficile de penser qu’un système public unique refusant toute mixité des écoles et modèles éducatifs soit acceptable. Une des conséquences repoussantes pour l’égalitariste de la fin du financement public de l’école privée est l’accentuation du caractère élitiste des écoles privées qui réussiraient à survivre en augmentant les droits de scolarité. En gros, seuls les enfants du 1 % le plus riche fréquenteraient les écoles privées.

On sait que des écoles privées à Toronto imposent des droits de 15 000 à 25 000$ par année ! Des écoles comme Brébeuf à Montréal et Saint-Charles Garnier à Québec exigent des droits d’environ 3500 $ par année. Les écoles privées deviendraient des petits clubs sélects radicalement homogènes d’un point de vue socioéconomique, et les enfants qui les fréquenteraient auraient moins de contacts avec les enfants de la classe moyenne. Est-ce le prix à payer pour valoriser l’éducation publique ? Faut-il accepter cette conséquence en se pinçant le nez ? La France et la Suède ont-elles raison de financer les écoles privées ? Je suis indécis.

Un des problèmes de l’exercice auquel le gouvernement nous convie est que les choix qui sont présentés sur le plan de l’offre des services publics et de leur financement soulèvent des questions difficiles de justice distributive, mais nous n’avons aucune indication que les considérations d’ordre éthique sont au coeur des délibérations. Elles le sont peut-être, mais des moyens concrets faisant en sorte que le point de vue de la justice ne soit pas éclipsé par celui de l’efficacité auraient dû être mis en oeuvre.

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