Un symbole de la persévérance des Canadiens français

L'année 2014 coïncide avec le centenaire de la base militaire de Valcartier. Les véritables motivations derrière sa création sont peu connues.

 

Valcartier, un camp patriotique

 

C’est en 1913 que les premiers terrains sont acquis à Saint-Gabriel de Valcartier, près de Québec, par un intermédiaire du gouvernement fédéral.

 

À la veille de la première guerre, Sam Hugues est ministre de la Milice à Ottawa. Personnage décrit comme extravagant, il est profondément attaché à l’Angleterre et à l’Empire. Lorsque la guerre éclate en août 1914 et que le Dominion du Canada est engagé de facto dans le conflit, la décision d’installer les futures troupes canadiennes à Valcartier est déjà dans les plans du ministre.

 

Ce choix repose d’abord sur des considérations de localisation. Ce site est éloigné des distractions de la ville, ce qui facilite le contrôle des allées et venues des soldats et des tentations urbaines. Québec est protégé par ses fortifications, sa Citadelle et les trois forts de Lévis.

 

Depuis le départ des troupes anglaises, Québec est l’armurerie du Canada. Contrairement à la ville d’Halifax sur la côte Atlantique, Québec est bien protégée d’une attaque allemande. Car ce risque est réel, aux premiers jours de la Grande guerre, les familles en villégiature sur la pointe est de l’Ile d’Orléans sont même invitées à quitter leurs chalets. On rapporte même la rumeur d’une expropriation complète des habitants de l’Ile d’Orléans pour y installer une base militaire.

 

Le port de Québec et les différents réseaux de chemin de fer qui y convergent permettent une concentration rapide des hommes et du matériel.

 

Mais un des motifs de l’installation du camp de Valcartier se trouve dans des considérations moins connues. Hugues n’est pas un promoteur d’une armée de métier. Il préconise davantage une armée de miliciens volontaires. Partisan d’une implication du Canada dans la guerre des Boers en Afrique du sud en 1899-1900, il sera un officier du contingent de volontaires canadiens. Opposé rapidement aux officiers britanniques de carrière sur la manière de mener les opérations, il est prié de plier bagages.

 

Lorsque la guerre éclate en Europe, l’aménagement des terrains se fait en quelques semaines entre les mois d’août et de septembre 1914. Il faut alors prévoir l’approvisionnement en eau de milliers d’hommes, des tentes pour les loger, des cantines pour les nourrir, des commodités pour l’hygiène, de l’éclairage, le téléphone, la poste, les services bancaires etc.

 

Le camp vise essentiellement à regrouper les volontaires et à sélectionner les membres du premier contingent outre-mer. Des milliers de cibles de tir sont installées et des tranchées sont creusées.

 

En septembre 1914, soit à peine un mois après le début des hostilités en Europe, Valcartier regroupe sous des tentes de toile plus de 30 000 soldats. C’est aussi 8 000 chevaux qu’il faut entretenir pour les cavaliers et le transport de l’artillerie.

 

Dès septembre 1914, les manoeuvres et parades sur les terrains du camp Valcartier constituent des attractions pour la population du Québec. La compagnie de chemin de fer Canadien nord organise des forfaits pour visiter le camp avec un séjour à l’Hôtel du Lac Saint-Joseph (Hôtel Lake View) disparu aujourd’hui.

 

La venue de milliers d’hommes en provenance de toutes les provinces canadiennes pose rapidement des problèmes de toutes sortes à Québec. Outre l’éclairage des rues qui est insuffisant la nuit. Les quotidiens rapportent aussi les bagarres, les infractions dans les domiciles, le trafic de boissons alcooliques autour du camp, la prostitution dans des maisons  dites d’infamie. Les cours de justice invitent même la population à aider les policiers lors des altercations avec les militaires trop éméchés et turbulents. Pour des milliers de jeunes hommes célibataires, nés pour la plupart dans des familles où la religion protestante dicte de la retenue et de la tempérance, la ville de Québec sert d’exutoire pour chasser la crainte des champs de bataille.

 

Les exclus de Valcartier

 

Dès les premières semaines, le traitement réservé aux volontaires canadiens-français est dénoncé. En privilégiant le mélange des régiments venus de partout au Canada et en imposant un fonctionnement uniquement en anglais, le ministre Hugues éteint davantage le volontarisme des francophones. Comme les officiers canadiens-anglais sont perçus et traités comme une catégorie de seconde zone face aux officiers britanniques, la participation de Canadiens-français à la défense de l’Empire est probablement pour Hugues une hérésie ou un anachronisme de l’histoire.

 

C’est finalement en octobre 1914 qu’un groupe conduit par le docteur Mignault propose la création d’un régiment Canadiens-français. Les autorités autorisent officiellement le recrutement du bataillon à compter du 21 octobre 1914. Initialement connu sous la dénomination Régiment Canadien-Français, le 22e Bataillon sera désigné unité francophone tout simplement du fait qu’il fut le vingt-deuxième bataillon d’infanterie autorisé.

 

L’entraînement débute au Parc-Jeanne-Mance et au Parc-Lafontaine à Montréal et se poursuit à St-Jean-sur-Richelieu du 21 octobre au 12 mars 1915. Mais la désuétude du site, le manque d’espace pour l’entraînement et l’attrait de la ville de Montréal cause des désertions et des cas d’indiscipline. Ceci amène les officiers supérieurs à demander à plusieurs reprises le transfert de l’unité vers un site plus approprié. Un transfert à Valcartier est demandé, mais il est refusé.   Devant l’insistance des officiers, l’unité est déployée à Amherst en Nouvelle Écosse le 12 mars 1915. Le 15 septembre, le 22e débarque à Boulogne, dans le Pas-de-Calais.

 

Si la base militaire de Valcartier est aujourd’hui le centre opérationnel du 22ième, ce n’est pas en raison des objectifs de son fondateur. Sam Hugues reste un personnage controversé, son entêtement à imposer ses vues personnelles aux militaires de carrière auront finalement conduit à son expulsion du cabinet Borden en 1916.

 

En raison de leurs nombreux faits d’armes, les soldats du 22ième sortent de la première guerre avec de grands honneurs. Depuis mai 1920, la Citadelle est devenue le quartier général. En 1921, le roi Georges V désigne le 22ième comme un régiment royal pour souligner son rôle durant la Première guerre. Après la Première guerre, le camp Valcartier est temporairement délaissé. Mais à partir de 1930, le camp est ouvert à nouveau et sert au Royal 22ième régiment pour mener ses entraînements. Bref ce centenaire symbolise surtout la persévérance de Canadiens de langue française à occuper une place importante dans l’histoire militaire du pays.

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