M. Bergeron, la démolition est nécessaire

«Il est malheureux que le cas de Saint-Gérard, comme celui de Baril (notre photo), en soit arrivé à un tel point de non-retour», écrit Alex Benjamin.
Photo: Jean-François Séguin Héritage Montréal «Il est malheureux que le cas de Saint-Gérard, comme celui de Baril (notre photo), en soit arrivé à un tel point de non-retour», écrit Alex Benjamin.

En écrivant que Québec et le maire Coderre se prêtent « à un cruel chantage émotif auprès des parents » et que l’un et l’autre « font équipe pour dire aux parents que la démolition est la seule façon de garantir […] le retour des enfants à leur école de quartier », en laissant entendre, en somme, que les parents de Saint-Gérard ont eu leur jugement influencé par les manoeuvres de Québec et de la Ville, vous les sous-estimez gravement ; tout comme vous sous-estimez leur implication dans le dossier et le travail qu’ils ont accompli ces deux dernières années. Cette attitude ne correspond pas à celle d’une personne élue pour représenter les citoyens de cette ville et pour veiller à leurs intérêts supérieurs.

 

Les parents de Saint-Gérard se sont battus pour que les enfants soient temporairement transférés dans une école saine, ils se sont mobilisés afin de convaincre le gouvernement du Québec d’accorder les sommes nécessaires à la reconstruction de l’école, ils ont lu tous les rapports, ont suivi pas à pas toutes les étapes qui nous mènent au projet actuel. Par-dessus tout, ce sont eux dont les enfants, à l’automne 2011, ont souffert de troubles respiratoires, ce sont eux qui, lors du transfert, accueillaient leurs enfants en larmes au retour de l’école, ce sont eux qui craignent encore aujourd’hui pour la sécurité de leurs enfants à les savoir côtoyer des jeunes du secondaire : à ceux-là, allez dire qu’ils sont influencés lorsqu’ils clament « la santé des enfants d’abord » !

  

Santé publique

 

Dans votre empressement à accuser certains acteurs politiques, vous en omettez un, apolitique, dont le rôle dans le dossier est pourtant de toute première importance. Car c’est bien la Direction de santé publique (DSP) — et non Québec ou vos adversaires politiques — qui a décrété en janvier 2012 la nécessité de retirer les enfants et le personnel enseignant de l’école Saint-Gérard ; c’est la DSP qui, après des millions investis à Baril en diverses tentatives de restauration, en a néanmoins déclaré l’insalubrité ; et c’est notamment à la suite des rapports de la DSP concernant l’importance de la contamination fongique au sein même de la structure maçonnique de Saint-Gérard que Québec a accordé son aval à la démolition de l’édifice comme seul moyen de garantir la non-récurrence de propagation.

 

Il est malheureux que le cas de Saint-Gérard, comme celui de Baril, en soit arrivé à un tel point de non-retour. L’école Saint-Gérard, comme plusieurs autres, a souffert de décennies de négligence. Mais il est bon de rappeler que c’est à la Ville de Montréal et non à Québec qu’elle a statut patrimonial, et que la Ville a peu fait pendant ces décennies pour accompagner ou soutenir ceux responsables de l’entretien et de la préservation. À cet égard, il est trop commode de la part de certains élus municipaux de jeter le blâme sur les instances gouvernementales supérieures, ou de se laver les mains de toute responsabilité passée avec un simple « à l’époque, je n’y étais pas ». Toutes proportions gardées, il me semble plutôt juste et noble que les élus actuels sentent qu’ils aient à faire réparation pour les manquements de ceux qui les ont précédés ; un vote en faveur du projet de nouvelle école est un geste politique courageux par lequel ils prennent symboliquement sur eux une part de la responsabilité qui aurait dû incomber à leurs prédécesseurs.

 

Ce n’est pas de gaieté de coeur que nous envisageons la perte de cet édifice. Sensibles à la question, les parents de Saint-Gérard ont notamment formé un « comité de reconstruction » qui, après des mois d’études et de recherches, a offert à la CSDM un rapport détaillé dans lequel est exposée la nécessité, dans des cas exceptionnels comme Saint-Gérard, de penser la question patrimoniale autrement que par la seule préservation du matériau.

  

Désolation

 

Une chose est claire : pour l’ensemble des parents de Saint-Gérard, fortement attachés à ce quartier en plein développement, désolés de voir de jeunes familles le fuir en faveur de la banlieue, il n’est plus question d’enclencher un quelconque processus qui entraînerait de nouveaux délais. Après les luttes qu’ils ont menées, il n’est pas non plus question pour eux d’aller exiger de Québec les quelques millions de plus que pourrait nécessiter une révision majeure du projet. Et c’est dépasser la mesure que de leur suggérer, comme vous le faites, de se contenter d’une école de moindre qualité afin de faire les économies nécessaires à cette révision.

 

Vous écrivez, à ce sujet, que Québec nous en doit une. Allons donc ! Québec nous en doit dix, vingt, cinquante ! Mais ce que le gouvernement doit, non seulement aux parents de Saint-Gérard mais à tous les parents du Québec, ce sont des dizaines d’orthopédagogues et de psychoéducateurs, ce sont des services adéquats aux élèves en difficulté, ce sont des salles de classe où les enfants ne sont pas entassés les uns par-dessus les autres, ce sont les sommes nécessaires à un parfait entretien de tous les édifices scolaires, etc. La liste de priorités est longue, et il nous chagrine tous de constater que certaines ont à se retrouver en bout de rang.

 

Les parents de Saint-Gérard sont attachés au patrimoine architectural de cette ville, en reconnaissent l’importance. Mais ils savent aussi qu’une société qui a atteint un stade de maturité reconnaît qu’il est des circonstances exceptionnelles qui exigent un sacrifice afin d’assurer le bien commun. Entendons-nous pour l’instant que ce bien commun est non seulement la santé des enfants et du personnel enseignant, mais également le développement et la richesse sociale de quartiers chers à leurs habitants. Entendons-nous aussi pour dire que Saint-Gérard et Baril représentent l’exception et non la règle, et qu’à ce titre, elles devraient nous servir de leçon.

Le déclencheur

«À cet égard, Québec, appuyé depuis peu par le maire Coderre, se prête à un cruel chantage émotif auprès des parents touchés par la fermeture de Saint-Gérard et Baril. Sous le thème “Les enfants d’abord”, les deux font équipe pour dire aux parents que la démolition est la seule façon de garantir pour septembre 2016 le retour des enfants à leur école de quartier.»
-Richard Bergeron, Chef de l’opposition officielle, Ville de Montréal, Il faut sauver les écoles Saint-Gérard et Baril, Le Devoir, 21 juillet.


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