M. Bolduc, nous demeurons vigilants

En 2012, la question de la hausse des droits de scolarité avait poussé des dizaines de milliers d’étudiants et plusieurs centaines de professeurs à manifester presque quotidiennement.
Photo: Annik Mh de Carufel Le Devoir En 2012, la question de la hausse des droits de scolarité avait poussé des dizaines de milliers d’étudiants et plusieurs centaines de professeurs à manifester presque quotidiennement.

M. Yves Bolduc, ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de la science

 

Moins de deux ans après le Printemps érable, une équipe du Parti libéral du Québec est de retour au gouvernement. La question de la hausse des droits de scolarité avait alors poussé des dizaines de milliers d’étudiants (et plusieurs centaines de profs) à manifester presque quotidiennement dans les rues. Tout au long du conflit, les étudiants, et ceux et celles qui les appuyaient (notamment les Profs contre la hausse), avaient fait la démonstration qu’outre la hausse injuste, d’autres graves problèmes touchent les universités du Québec. Les enjeux soulevés lors de cette mobilisation n’ont pas disparu par enchantement malgré la fin de la grève. Voici ceux qui nous semblent devoir retenir l’attention du ministre de l’Éducation que vous êtes devenu.

 

L’accès aux études

 

L’accès à l’enseignement supérieur reste la première de nos préoccupations. Nous demeurons, aujourd’hui comme hier, convaincus que toute hausse des droits de scolarité nourrit le processus d’exclusion sur une base socio-économique, racisée ou sexuée, de même qu’elle accentue le phénomène de l’endettement étudiant, peu importe que cette hausse soit soudaine ou étalée dans le temps. Aujourd’hui comme en 2012, il nous semble injuste de demander aux étudiants de payer des droits de scolarité accrus afin de résoudre le problème du financement des universités. Nous espérons que votre gouvernement aura la sagesse de revenir sur cet enjeu fondamental en établissant un réel dialogue avec tous.

 

Depuis maintenant presque deux décennies, nous devons faire face à d’incessantes politiques d’austérité qui contribuent à détériorer non seulement le tissu social, mais aussi le climat propice à l’étude à l’intérieur même de la salle de classe. Des organisations telles le FMI et la Banque mondiale commencent à reconnaître certains des dangers inhérents aux programmes d’austérité, quel que soit le nom qu’on leur donne. Nous appelons de tous nos voeux un réinvestissement massif dans l’enseignement supérieur, dans le cadre d’une politique qui tourne définitivement le dos à l’austérité et aux effets pervers qu’elle entraîne.

 

La marchandisation de l’éducation

 

Le Printemps érable fut une vaste protestation contre les divers processus qui tendent à réduire l’éducation et l’enseignement supérieur à une marchandise. Depuis 2012, plusieurs éléments ont ravivé nos craintes à ce sujet, à commencer par la mise en place d’un processus pompeusement nommé «assurance qualité» qui pousse encore plus loin la logique de la marchandisation de l’éducation. Si l’on en croit cette doctrine, l’évaluation des processus de notre cadre de travail garantirait la valeur de celui-ci. Cette «assurance qualité» ajoute une formalité administrative qui alourdit notre charge de travail et semble se réduire à un polissage de l’image de marque (branding) des institutions d’enseignement pour mieux les faire participer à leur propre mise en marché, sans contribuer de quelque façon que ce soit à la qualité de l’enseignement et de la recherche qui s’y pratiquent.

 

Nous nous interrogeons également sur la pertinence d’offrir une formation en anglais dans une université francophone (tel le projet d’offrir des cours de médecine en anglais à l’Université du Québec en Outaouais)… Nous comprenons mal quel autre intérêt qu’une valeur marchande peut conduire à tolérer (voire favoriser) un tel écart!

 

Une recherche de plus en plus instrumentalisée

 

Les transformations qui touchent le domaine de la recherche sont également source de nombreuses appréhensions de notre part. Le désinvestissement des organismes publics est tel que les secteurs de la culture et des sciences humaines et sociales sont quasiment orphelins sur le plan du financement de la recherche, ayant été largement délaissés au profit de recherches appliquées qui mettent à contribution les sciences de la nature. Cette situation a favorisé des travaux de plus en plus axés sur les brevets, les développements technologiques et la commercialisation des produits. Ce processus s’accompagne d’une concentration des subventions au profit de grosses infrastructures et de regroupements de chercheurs au détriment d’autres formes de recherche.

 

Enfin, une gestion de type entrepreneuriale, le mépris affiché à l’égard du personnel enseignant et une offre de programmes à la carte nous inquiètent également.

 

Comme vous le voyez, Monsieur Bolduc, nos préoccupations sont nombreuses et substantielles. Souvent déçus par la vision limitée de vos prédécesseurs, nous espérons que vous allez soutenir l’enseignement supérieur comme il le mérite. Actives et actifs dans nos établissements, nous demeurons vigilants.

Nous appelons de tous nos voeux un réinvestissement massif dans l’enseignement supérieur, dans le cadre d’une politique qui tourne définitivement le dos à l’austérité

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