Se droguer pour réussir à l’université

Photo: - Archives Le Devoir

Aux États-Unis, l’utilisation des médicaments stimulants à des fins de performance concerne 1,5 % à 35 % des étudiants. Elle est plus fréquente dans les universités les plus compétitives. Au Québec, le phénomène est peu documenté, et son évolution méconnue, une fois l’entrée des étudiants sur le marché du travail. Notre recherche visait à comprendre les pratiques et les représentations de jeunes adultes québécois, étudiants et travailleurs. Nos résultats s’appuient sur des entretiens réalisés avec 26 personnes, âgées de 18 à 25 ans, vivant à Montréal et ayant consommé des médicaments stimulants pour améliorer leur performance, sans détenir de prescription.

 

Concentration et la productivité

 

Les étudiants utilisent principalement le méthylphénidate (Ritalin®) et l’amphétamine (Adderall®), qu’ils se procurent auprès de leurs amis, pour améliorer leur concentration, leur capacité à rester alertes et étirer les sessions d’étude. Le médicament aide à résister aux multiples distractions, en particulier sur Internet, et facilite l’engagement dans le travail comme l’explique Éric (nom fictif) : « La concentration est décuplée et la matière s’absorbe d’elle-même. » Chez les travailleurs, le médicament permet d’améliorer la capacité à rester concentré ou éveillé et augmente la productivité dans les premières années d’emploi. La consommation de médicaments stimulants commence généralement pendant les études, mais semble plus régulière chez les travailleurs. Des enquêtes sont ainsi nécessaires pour mesurer le taux d’incidence de cette pratique chez les jeunes et son évolution.

 

Étudiants comme travailleurs considèrent les médicaments stimulants comme une solution pratique et efficace pour être plus productifs et obtenir de meilleurs résultats et minimisent leurs effets secondaires. Ces médicaments, porteurs d’une technologie médicale certifiée, bénéficient d’une image sécuritaire. Présents et accessibles dans l’entourage des jeunes, ils sont banalisés : certains les situant dans le continuum des boissons énergétiques et du café.

 

Comment justifient-ils leur consommation?

 

Pour plusieurs participants, le recours aux médicaments stimulants vise à pallier des faiblesses personnelles que certains attribuent à un trouble du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH). La consommation de stimulants permet aussi de s’adapter aux milieux universitaire et professionnel jugés particulièrement exigeants. Certains étudiants utilisent des stimulants pour se démarquer et figurer parmi les meilleurs : « C’est une compétition en bout de ligne, surtout à l’Université de Montréal [...] où ta note est déterminée en fonction de la moyenne. [...]Tu veux sortir on top, “fake” tu prends n’importe quoi pour avoir un edge (Jean-Baptiste)

 

D’autres visent seulement à passer au travers du cursus universitaire ou à survivre à un nouveau contexte de travail. Le médicament les aide à croire en leurs capacités, réduisant leur niveau de stress. Les pressions sociales sont augmentées par le fait que ces jeunes souhaitent concilier études, travail et vie sociale. Soumis à l’injonction sociale de réussir dans toutes ces sphères, ils utilisent le médicament comme un « multiplicateur identitaire ».

 

Les étudiants soulignent que la consommation de stimulants constitue une pratique largement répandue qui vise un objectif légitime : la réussite. Plusieurs avaient décidé de faire un essai de ces produits parce qu’ils en entendaient parler sur le campus : « J’ai commencé à prendre du Ritalin pendant ma deuxième année au baccalauréat […] Ça m’énervait de penser que les autres avaient une longueur d’avance sur moi. » (Li)

 

La consommation de médicaments stimulants est pourtant loin d’être généralisée sur les campus, mais elle est probablement plus répandue au sein de certains groupes. Ce processus de normalisation est renforcé par l’image favorable dont bénéficie l’utilisation des médicaments stimulants à des fins de performance dans les médias grand public. Il serait donc important de sensibiliser les jeunes à la réelle incidence de cette pratique et aux effets secondaires qui lui sont associés. L’utilisation des médicaments stimulants soulève enfin des enjeux éthiques. Leur consommation en milieu universitaire constitue-t-elle une forme de tricherie ? Crée-t-elle une pression pour ceux qui n’y ont pas encore recours ?

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