En finir avec les leçons de morale

Céline Lafontaine s’est livrée dans les colonnes du Devoir (« Le remboursement des mères porteuses ? Du délire », 25 avril 2014) à une diatribe contre l’encadrement de la gestation pour autrui pour le moins révoltante. D’entrée de jeu, elle dénonce la radicalité de « l’individualisme triomphant de l’époque », à l’image de certaines féministes qui ont déserté le terrain de la politique et du droit pour investir celui de la morale. Mais l’encadrement de l’interruption volontaire de grossesse n’a-t-il pas consacré l’individualisme dans les sociétés occidentales ? La libre disposition de son corps, qui fut l’une des principales revendications des féministes historiques, a sacralisé depuis quatre décennies une conception individualiste des libertés féminines.

 

À la manière de la philosophe Sylviane Agacinski, qui assimile les mères porteuses à des fours à pain, Céline Lafontaine évoque « l’instrumentalisation du corps des femmes », présentées cette fois comme des « machines à produire des bébés ». D’autre part, la gestation pour autrui ne concerne pas a priori les couples homosexuels. Comme l’a rappelé l’un des plus grands anthropologues français, Maurice Godelier, « les mères porteuses permettent à des femmes qui ont des ovocytes mais qui font régulièrement des fausses couches d’avoir des enfants ». Contre ceux qui ne cessent de brandir le cas des femmes indiennes ou ukrainiennes, il rappelle que « nous ne sommes ni dans l’Inde des castes ni dans l’Ukraine postsoviétique » et que les sociétés démocratiques « doivent partir de leur propre démocratie pour avancer ». Par exemple, Céline Lafontaine a-t-elle pris connaissance de la législation britannique qui encadre très strictement cette pratique depuis près de trente ans ? Non, à l’évidence.

 

Si les couples homosexuels désirent entrer dans l’ordre procréatif et fonder une famille, cela relèverait à la fois d’un « fantasme génétique inquiétant » et d’une « volonté d’exploiter les potentialités reproductives du corps féminin », symptomatiques des « dérives éthiques de la société néolibérale ». En d’autres termes, les homosexuels assimilés aux « puissants » participent de la domination masculine et de l’individualisme exacerbé propre aux sociétés capitalistes.

 

Le retour en force du naturalisme et du puritanisme que traduisent les débats relatifs à la prostitution, à la pornographie ou aux techniques d’assistance médicale à la procréation s’inscrit à contre-courant de la libéralisation des moeurs, processus historique qui a ouvert des horizons immenses : l’émancipation féminine (même si celle-ci reste inachevée) et la fin des interdits pesant sur la sexualité.

 

Postulant de manière implicite qu’une femme est faite pour aimer les enfants qu’elle porte — ce que la philosophe Élisabeth Badinter qualifie à juste titre de « préjugé naturaliste », Simone de Beauvoir ayant démontré dans Le deuxième sexe que « l’amour maternel n’a rien de naturel » —, Céline Lafontaine exclut toute maternité pour autrui éthique, et ne parle que « Corps-Marché », c’est-à-dire de marchandisation. La rhétorique anti-intellectuelle de ce discours culpabilisateur est devenue insupportable. Au nom de quel principe moral faudrait-il exclure les homosexuels ou les femmes privées d’utérus de l’ordre de la filiation ?

 

Enfin, si l’on soutient au Québec ou en France la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes, et que l’on condamne dans le même temps la gestation pour autrui pour les couples d’hommes, qu’advient-il du principe d’égalité entre les sexes ?

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