Le contraire d’un coup de coeur

Défaite cruelle. Amer désaveu. Débâcle imprévue. Colossal coup de balai. Les termes abondent pour tenter de comprendre ce qui s’est passé à l’élection du 7 avril.
On est bien loin de l’euphorie des carrés rouges victorieux d’il y a dix-huit mois et du soupir de soulagement de se débarrasser d’un gouvernement vieilli et usé. Bien loin aussi des liesses déclenchées au soir de victoires mémorables, quasi historiques. Comme celle de 1976, quand le PQ a pris le pouvoir, par exemple. Virage. Tournant. Étape décisive. On verra bien.
Pour l’instant, seules certaines choses semblent ressortir clairement, au-delà de la tristesse qu’on partage de voir s’éclipser, après un si bref intermède, la première première ministre que le Québec ait osé se donner.
Le PQ s’est depuis longtemps défini comme une coalition rassemblant des options plurielles, différentes, parfois divergentes. La limite d’une telle conciliation semble atteinte. D’un côté, les fervents du 1er article du programme, la souveraineté, déçus de l’éternelle remise aux calendes grecques. De l’autre, les pragmatistes, partisans du beau risque, prêts à attendre leur heure et à offrir un bon gouvernement pour patienter.
Les premiers sont déçus : le PQ victorieux en 2012 s’est affairé à régler la crise étudiante, à déclencher des projets, à entamer des réformes. De souveraineté, point à l’horizon. Les seconds sont tout aussi déçus : les rêves de social-démocratie et de politique renouvelée, rafraîchie, ont pris le bord face aux coupes dans l’aide sociale, aux courbettes devant les minières et les pétrolières, aux projets d’Anticosti et tutti quanti.
À la place, un projet de charte, un faux débat, des oeillères face au compromis possible, évident même. Au lieu de promener des épouvantails et de brandir la stratégie béton, il était facile de faire un petit pas de côté pour gagner l’opinion à une solution qui aurait plu à tout le monde, ou presque.
Déception de part et d’autre. Où se tourner ? Les uns sont allés du côté des solidaires qui travaillent très fort pour articuler une palette de solutions socialement méritoires et politiquement acceptables. D’autres regardent du côté de la CAQ, qui a au moins le mérite de présenter un discours simple, sans fioriture idéologique et facile à vendre. Ne sont restés au PQ que les votes les plus fidèles, la base profonde, irréductible, indéfectible. Celle qui n’a nulle part d’autre où aller.
Cette défaite marquera peut-être une étape historique, comme le référendum de 1980, comme la défaite cruelle de 1995. Peut-être. Pour l’instant, elle apparaît surtout comme un pas de plus dans une valse-hésitation où le peuple du Québec cherche une voie pour renouveler la façon de mener les affaires publiques, d’assainir la politique, de pratiquer le gouvernement.
Cette défaite du PQ résulte surtout de mauvais calculs stratégiques, d’excès de confiance, de lectures erronées de la réalité sociale. Recruter PKP et lui faire porter le drapeau des patriotes, brandir la charte et sortir Janette pour dresser de faux épouvantails, ce n’était pas génial. Perdre le contrôle des thèmes sur lesquels devait porter cette campagne, ce n’était pas fort non plus. Se rapetisser à l’obligation de répliquer aux insultes, se balancer par la tête des accusations réciproques de corruption, voire de promettre des baisses d’impôt, voilà qui est indigne d’un gouvernement en qui tant d’espoirs avaient été placés. Par les jeunes, d’abord, par les autres également.
Rêves balayés sous le tapis
L’erreur aura été de ne pas savoir répondre à tous ceux et celles qui s’inquiètent qu’on lorgne du côté du pétrole, qu’on laisse les minières continuer de nous voler nos ressources, qu’on abandonne les projets d’énergies renouvelables ; qu’on courtise le grand capital d’un bord, et que de l’autre on coupe aveuglément dans les services de santé, d’aide sociale et d’éducation au nom de la (fausse) rigueur économique et du chimérique équilibre budgétaire.
L’erreur, c’est aussi de balayer sous le tapis le rêve des deux, ou même des trois générations de se donner un pays moderne, civilisé, laïque, ouvert et non sectaire ; que l’on confonde tant de questions importantes, langue, identité, laïcité, égalité et liberté dans une soupe incongrue et indigeste, pompeusement coiffée du titre de charte ; bref, l’erreur aura été de ne pas voir que plusieurs, la majorité même, ne suivaient pas ce gouvernement sur les sentiers où il s’engageait, et nous engageait avec lui.
L’erreur aura été de lancer ces élections de manière précipitée, à la limite de l’arrogance, comme une formalité dont on allait se débarrasser en deux temps, trois mouvements, pour revenir majoritaires et lancer le train à fond pendant quatre ans.
Cette défaite est un coup de collier collectif qui veut dire, ni plus ni moins, minute, papillon !
La victoire, si tel est son nom, des libéraux ne devrait être vue que comme une solution de remplacement, une option par défaut en quelque sorte. En l’absence d’alternative crédible, le vote s’est réparti selon un éventail qui a le mérite de nous sortir du carcan binaire traditionnel, qui reflète un peu la diversité des visions que nourrit désormais le peuple du Québec, en train de mûrir peu à peu vers une autre ère politique.
Cette élection, en fin de compte, marque peut-être la fin véritable de la vieille politique dont on dit ne plus vouloir. De la politique à la sauce corruption-collusion, amis du pouvoir, favoritisme, limousines et tralala. La fin des vieux partis usés et de leurs idées aussi usées, qu’elles soient érigées ou non en plateforme.
Cette élection, c’est un grand coup de gueule et le contraire d’un coup de coeur. Espérons qu’on prendra le temps d’y réfléchir, d’en faire le bilan et qu’on évitera, comme la dernière fois, de rapidement passer à autre chose. Et d’oublier, comme toujours.
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