Sri Lanka, retour sur un massacre oublié

La semaine dernière à Genève, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution visant à faire la lumière sur des crimes de guerre commis entre 2002 et 2009 au Sri Lanka. Entre autres, l’extermination de 40 000 à 70 000 civils, selon les estimations de l’ONU, très majoritairement des Tamouls, par l’armée gouvernementale durant les derniers mois d’une guerre qui a ensanglanté ce pays de l’océan Indien durant plus de vingt-cinq ans, un massacre que le gouvernement de Colombo a toujours nié.

 

La stratégie cingalaise

 

 

En janvier 2009, alors que les derniers combats faisaient rage dans le nord de l’île entre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) et l’armée sri-lankaise, le gouvernement de Colombo annonçait ce qu’il présentait comme une opération humanitaire : la création d’aires protégées appelées No-Fire Zones où la population civile était invitée à se réfugier. Au cours des semaines qui suivirent, des dizaines de milliers de gens s’y sont rendus.

 

En avril, la télévision britannique diffusait des images satellites d’une de ces zones, estimant que plus de 100 000 personnes y étaient massées sur 20 km2 de plage. Quelques semaines plus tard, d’autres images montraient la destruction presque totale du même site. Plusieurs groupes de défense des droits de l’homme, de même que des ONG et des survivants ont rapporté que ces zones avaient été bombardées par l’armée et l’aviation cingalaises, entraînant la mort de dizaines de milliers d’innocents.

 

Le jeu de la Chine

 

Parmi les pays qui ont voté contre la résolution à Genève, on trouve la Chine, le premier partenaire commercial du Sri Lanka et son principal allié dans sa guerre contre les indépendantistes tamouls. La Chine récolte aujourd’hui les fruits de son aide dans la victoire de 2009 et s’installe à son aise au Sri Lanka, à moins de 80 kilomètres des côtes de l’Inde, son plus grand rival économique. Un gigantesque port en eaux profondes a été construit par les Chinois au sud du pays à 15 kilomètres au nord d’une des routes maritimes les plus fréquentées du monde, reliant l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. Quand il sera terminé plus tard cette année, ce terminal sera le plus vaste d’Asie du Sud pouvant accueillir 33 navires simultanément. Il aura coûté plus d’un milliard, financé à 85 % par le gouvernement chinois.

 

Il y a un an, a été inauguré dans le même district de Hambantota un tout nouvel aéroport international construit et financé par la Chine au coût de 210 millions de dollars. Et c’est sans compter l’ouverture, l’an dernier, d’une autoroute à six voies et l’agrandissement annoncé du vieux port de Colombo, la capitale, pour accueillir deux nouveaux terminaux à conteneurs, deux projets aussi financés par la Chine. Au total, selon les chiffres révélés en 2012 par le Colombo Telegraph, la Chine aura investi, entre 2005 et 2015, plus de 12 milliards de dollars. Certains observateurs estiment que ces largesses chinoises s’inscrivent dans un programme stratégique visant à faire du Sri Lanka un nouveau joyau dans son « collier de perles », une chaîne de relais maritimes contrôlés par la Chine dans l’océan Indien.

 

Des milliers de déplacés

 

Selon des données récemment publiées par l’Internal Displacement Monitoring Centre, ils seraient plus de 90 000 au Sri Lanka, surtout des Tamouls, à être enfermés dans des camps que le gouvernement appelle des camps de réfugiés, mais qui ressemblent de plus en plus à des camps de détention. Certains y sont parqués depuis 24 ans, leurs terres ayant été confisquées en 1990. Des milliers d’autres qui vivaient sur le littoral en ont été chassés au lendemain du tsunami de 2004 pour être relocalisés dans des camps situés parfois à plusieurs kilomètres de la mer qui avait pourtant assuré leur gagne-pain depuis des siècles. Cinq ans après la fin de la guerre, plusieurs des meilleures terres du pays tamoul sont toujours occupées par les militaires qui les considèrent encore comme des « zones à haut risque ».

 

Le pouvoir d’une résolution

 

Au Sri Lanka l’immense majorité des deux peuples aspire à vivre et à s’épanouir dans la paix et la prospérité. Cependant, peu de Tamouls peuvent tourner la page sans d’abord savoir ce qui s’est réellement passé, il y a cinq ans, quand plus de 40 000 civils ont été tués sur les plages du nord du pays. La résolution adoptée à Genève vise, entre autres choses, la mise sur pied d’un organisme indépendant pour enquêter sur cette boucherie.

 

Jusqu’à présent, le Sri Lanka a toujours réussi à faire échouer ce genre de résolution en promettant notamment de faire lui-même toute la lumière sur la question, et à son rythme. Cependant, cinq ans après la fin de la guerre, aucun responsable politique ou militaire n’a encore été condamné ni même inculpé.

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