Un nouveau combat pour les femmes

Ce qui a trait à la maison, au domestique, aux enfants, aux soins des autres, est ennuyeux, sans valeur, sans statut.
Photo: - Le Devoir Ce qui a trait à la maison, au domestique, aux enfants, aux soins des autres, est ennuyeux, sans valeur, sans statut.

En pleine campagne électorale, on se soucie souvent des candidaturesféminines pour mesurer le progressisme d’un parti. Pourtant, des jeunes femmes trouvent, elles, que ce progressisme est bien relatif. L’égalité dont on se vante tant au Québec ne fait pas que des heureuses.

 

Ainsi, Annie Cloutier lance un essai qui interpelle les féministes. Aimer, materner, jubiler (VLB éditeur), voilà le titre du livre dans lequel l’auteure déploie une critique sentie de ce qu’elle appelle le dogme féministe. On peut réfléchir sur ces derniers mots (et il faudrait s’y atteler sérieusement), mais retenons qu’Annie Cloutier estime que les féministes québécoises ont la mainmise sur l’organisation de la vie en société, et sur notre vie de tous les jours. Mon objet n’est pas de faire une critique de son livre ici, mais disons rapidement qu’elle reproche à la doxa féministe d’imposer l’idée que les femmes doivent travailler contre rémunération, et les mères aussi, afin de jouir d’une dignité sociale. Je pense résumer assez bien sa pensée. Ce livre est provocateur, notamment dans le sous-titre, « l’impensé féministe », qui sous-entend que la maternité n’a pas sa place dans le féminisme.

 

Annie Cloutier n’est pas la seule à trouver que le rôle maternel n’a de place nulle part, et que les femmes sont tombées dans le piège qui les oblige désormais à travailler, à materner, et à s’épuiser, le tout en gardant la taille fine et le sourire radieux. Dans la génération Y, c’est un courant fort que Cloutier représente, tout comme la dramaturge Fanny Britt avec son livre Les tranchées ou encore la romancière et essayiste française Éliette Abécassis, qui publiait il y a quelques années Le corset invisible (Albin Michel). En gros, ces jeunes femmes, et d’autres, accusent le féminisme d’avoir berné les femmes.

 

Comme féministe, on peut se sentir heurtée (et je le suis, je ne veux berner personne !), mais ces auteures touchent un point névralgique, à savoir que ce qui concerne le monde féminin n’a pas grande valeur sociale. Elles ont beau prendre des raccourcis, faire des insinuations discutables, elles ont raison : ce qui a trait à la maison, au domestique, aux enfants, aux soins des autres, est ennuyeux, sans valeur, sans statut. Déjà, je sais que des lecteurs, et beaucoup de lectrices, vont lever les yeux au ciel, tant ces sujets les font bâiller d’ennui. Mais ils ont tort. La productivité mondiale ne serait rien sans toute cette activité domestique qui permet aux institutions et aux entreprises de tourner : ménage, cuisine, soins domestiques, soin aux enfants, aux aînés, et toute la charge mentale qui vient avec.

 

Le féminisme a voulu que les femmes soient libres, que les hommes et les femmes soient égaux. C’est vrai que cette révolution a laissé dans son sillage beaucoup de foyers monoparentaux, de femmes épuisées et seules. Mais je dis aux femmes critiques du féminisme qu’il n’en est pas la cause. C’est plutôt que la révolution est inachevée.

 

Ainsi, je comprends tout à fait la peine et la colère d’Annie Cloutier et de ses collègues. On aime des femmes ce qui fait plaisir (leur sexualisation), c’est tout. En revanche, parler d’un point de vue féminin n’a aucune autorité dans notre société (combien de femmes aux cheveux blancs voit-on sur les plateaux de télévision et les pages couverture de magazines?). Et c’est cela qui me met en colère, moi aussi. Au lieu de s’opposer au féminisme, je souhaite que ces jeunes femmes se proposent plutôt de l’investir, et d’en renouveler les termes. Et je serai du combat.

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