Montréal, une tour de Babel
Sainte-Foy - Réfléchissons un peu. Le kirpan est un poignard de bonnes dimensions: on parle de 20 centimètres. Qu'on lui donne n'importe quel nom, c'est une arme qui peut devenir meurtrière. En arriver à relier une arme bien précise à une religion relève d'une dangereuse acrobatie intellectuelle. La religion est une relation, le rapport qui s'établit entre la créature humaine et son créateur divin, son dieu. Cette relation est avant tout une expérience intérieure qui peut, si désiré, se manifester extérieurement par un symbole approprié. Par exemple, les chrétiens ont choisi la croix, que rien ne les oblige à porter sur eux. Les sikhs ont choisi le poignard, dont ils disent que le port est obligatoire. Pour la société canadienne, est-ce un symbole approprié?
Posons la question. Y a-t-il dans une religion quelconque un dieu (peu importe le nom qu'on lui donne) assez imprudent pour exiger de ses fidèles qu'ils portent en permanence, cachée sur eux, une arme potentiellement offensive, avec le risque qu'elle puisse un jour servir à répandre le sang? Comme il est impensable qu'un dieu bon puisse avoir une telle exigence, c'est donc que cette coutume est d'origine humaine et, comme toutes choses humaines, elle n'est ni immuable ni imprescriptible. Il s'ensuit que le port du kirpan ne saurait être une exigence absolue. Se conformer à cette tradition peut paraître souhaitable à certains; des connotations culturelles y sont certainement attachées. Mais on ne peut l'assimiler à une pratique fondamentale et nécessaire du sikhisme.Il importe par ailleurs de tenir compte des circonstances, du milieu où l'on vit. Or il se trouve qu'il y a ici des lois qui interdisent d'apporter des armes à l'école. Cette interdiction est pleinement justifiée pour au moins deux raisons. C'est d'abord que la société canadienne, moins portée que d'autres sur la culture des armes, désire inculquer aux jeunes que dans l'état actuel de notre civilisation, l'arme est un moyen inacceptable de se faire justice. En second lieu, il s'agit d'une question de protection publique.
Les armes sont aussi interdites dans les avions, et pourtant, les sikhs continuent de voyager, laissant leurs kirpans chez eux. Pourquoi en serait-il autrement à l'école? Si on autorise un jeune à y apporter son poignard, comment justifier qu'on l'interdise aux autres? Et si, selon ses adeptes, le kirpan ne doit en aucun cas être considéré comme une arme, pourquoi ne pas accepter de le rendre inoffensif, par exemple en le faisant tout petit, voire en bois ou en plastique, plutôt qu'en acier?
Des activistes judiciaires sont déjà à l'oeuvre pour démontrer que le port du kirpan doit être toléré en vertu de la liberté de religion que garantit la Charte canadienne. Je suis totalement en faveur de la liberté de religion dans ce qu'elle a d'essentiel. Pour l'accessoire, tel que le kirpan, les sikhs, comme tout citoyen qui vit ici, doivent se conformer aux lois canadiennes et ne devraient pas chercher à imposer une coutume que la plupart réprouvent. Il n'y a pas de raison de créer de précédent ou de passe-droit.