Pendaison de Chevalier de Lorimier - Il y a 175 ans aujourd’hui…

Manifestation sur le site de la prison du Pied-du-Courant en 2009
Photo: Jacques Grenier - Archives Le Devoir Manifestation sur le site de la prison du Pied-du-Courant en 2009

Les voyageurs qui empruntent le pont Jacques-Cartier savent-ils que, tout en bas, à quelques encablures du fleuve, le vieil édifice de pierre grise a été le théâtre d’exécutions publiques ?

 

Il y a 175 ans, dans la cour de la prison du Pied-du-Courant, sise rue de Lorimier, la potence avait été érigée bien en vue, juste au-dessus de la porte principale, pour marquer les esprits. Le châtiment, infligé sur ordre du gouverneur anglais John Colborne — surnommé le « Vieux brûlot » parce qu’en plus de faire tomber des têtes, il transformait les villages en monceaux de cendre —, devait servir d’exemple. Le journaliste du Montreal Herald, Adam Thom, recommanda d’ailleurs aux autorités d’accélérer l’exécution des condamnés : « Pourquoi les engraisser pour le gibet ? » De fait, 12 patriotes seront pendus, sous les yeux terrifiés des prisonniers qui, derrière les fenêtres grillagées, pouvaient « jouir du spectacle ».

 

Le 15 février 1839 mourraient Thomas Chevalier de Lorimier, le plus célèbre d’entre tous, et trois de ses compagnons d’armes. Un bien triste anniversaire !

 

Ce qui m’a frappé dans les récits et témoignages laissés par leurs contemporains à l’issue des rébellions ? La répression féroce exercée par les autorités coloniales : patriotes traqués comme des bêtes dans les bois, femmes et enfants chassés de leur foyer à moitié nus, jeunes filles ligotées et violées, récoltes pillées, fermes saccagées… Et, bien sûr, les arrestations arbitraires d’honorables citoyens cueillis dans leurs villages, parfois sur la simple dénonciation d’un voisin. Dans son journal, Amédée Papineau raconte notamment le cauchemar de six patriotes ramenés de Sainte-Martine attachés derrière une voiture, corde au cou, et chargés de fers : « Les soldats qui conduisaient la charrette allaient assez vite pour obliger les prisonniers de courir, afin, disaient-ils, de ne pas leur laisser attraper de froid ! »

 

Un millier de patriotes — notaires, médecins, cultivateurs, marchands — ont connu les geôles de Colborne. Wolfred Nelson, qui y a croupi pendant six mois, a décrit les conditions de vie misérables faites aux détenus coupés de l’extérieur et réduits au pain et à l’eau. « Tous les prisonniers, une fois arrêtés et emmenés à Montréal, ont été traités de manière barbare », écrit-il, avant d’ajouter qu’au début, « ils étaient ligotés ensemble jour et nuit et ne pouvaient satisfaire leurs besoins personnels autrement qu’en s’allongeant ou en s’assoyant tous ensemble ».

 

Les lettres des prisonniers laissent percer l’angoisse durant les jours d’attente, tandis que la Cour martiale distribue ses accusations de haute trahison. Bâclés, les procès se déroulent souvent en anglais, une langue que bon nombre d’entre eux ne comprennent pas. Plusieurs n’ont même pas droit aux services d’un avocat. Dans ses Notes d’un condamné politique de 1838, François-Xavier Prieur raconte : « Quelques-uns de nos juges mêmes ne nous épargnaient pas les sanglantes insultes : c’est ainsi que quelques-uns d’entre eux s’amusaient, durant les séances, à dessiner des bonhommes pendus à des gibets, et ces grossières caricatures, qu’ils se passaient sous nos yeux, paraissaient les amuser beaucoup. »


 

Le 21 décembre 1838, deux patriotes de Châteauguay, le notaire Joseph-Narcisse Cardinal, père de quatre enfants en bas âge, et le clerc-notaire Joseph Duquette, montent sur l’échafaud. Jusque-là, personne ne voulait croire que la justice de Colborne se montrerait aussi implacable. Adam Thomb jubile : « Balayons les Canadiens de la face de la terre ! »

 

Amédée Papineau décrit l’horrible supplice infligé à son ami Duquette. « Les bourreaux l’ont martyrisé. La corde fut mal arrangée ; et lorsque la trappe tomba, il demeura suspendu sans pouvoir mourir et dans d’horribles convulsions. Les bourreaux mirent une autre corde et, lorsqu’elle fut fixée, ils coupèrent la première. Le martyr fit alors une chute de quatre pieds et ne mourut qu’après plusieurs minutes de souffrances. Aucune pitié de la part des tortionnaires pour l’infortuné supplicié, malgré les cris de la foule perçant le silence : “Grâce ! Grâce !” Le malheureux n’avait pas vingt et un ans. »

 

Scènes déchirantes

 

Avant l’exécution de Joseph-Narcisse Cardinal, son épouse enceinte s’est jetée aux pieds de lady Colborne pour l’implorer d’intervenir en faveur de son mari. Insensible, la femme du gouverneur lui a tout bêtement offert huit piastres comme consolation.

 

Le 18 janvier 1839, c’est au tour de Pierre-Théophile Decoigne, Jacques Robert, Pierre Hamelin et les frères Ambroise et Charles Sanguinet de se placer sous la trappe fatale. L’ami du peuple, journal antipatriote, raconte la scène déchirante des parents venus solliciter la permission de faire leurs adieux aux condamnés. Mgr Lartigue, l’évêque de Montréal, condamne « les crimes commis pendant l’odieuse répression de l’an passé contre le gouvernement établi dans cette province britannique ».

 

À la mi-février, l’annonce d’une dernière série d’exécutions soulève la révolte. Même les adversaires sont écoeurés. D’après L’aurore des Canadas, la mort de Charles Hindelang et celle de François Nicolas furent instantanées. Chevalier de Lorimier et Amable Daunais éprouvèrent brièvement de la douleur, mais Pierre-Rémi Narbonnem endura des souffrances atroces : « Comme l’un de ses bras avait été coupé, on n’avait pu sans doute le lier aussi bien que les autres ; dans les convulsions de l’agonie, il détacha sa main avec laquelle il saisissait les objets environnants et parvint à déplacer la corde de sa vraie position. Il parvint même par deux fois à atteindre une balustrade voisine et à s’y placer les pieds et deux fois il en fut repoussé. »

 

En apprenant la pendaison de son ami Chevalier de Lorimier, Amédée dessine des gouttes de sang dans son journal avant d’écrire : « Il est mort comme il a vécu, un patriote et un républicain. Son nom est immortel. »

 

Il y aurait encore beaucoup à raconter à propos des crimes sadiques qu’on dirait tirés de l’histoire d’un pays barbare. Et pourtant, c’est ici, chez nous, que la loi martiale a été décrétée et que l’armée britannique et ses volontaires ont sévi. Comme je l’ai mentionné dans La saga des Papineau, le bras vengeur de la justice coloniale, non content d’anéantir les meneurs poussés à la révolte par les abus et injustices du Colonial Office, s’abattra aussi sur les simples citoyens bannis de leurs foyers, pendant que la torche incendiaire ravage leurs villages semant partout l’épouvante.

 

Je laisse le dernier mot à Amédée Papineau : « Le gouvernement, qui ne cherchait qu’une occasion et un prétexte pour nous écraser, foula aux pieds tous nos droits, toutes nos libertés, détruisit notre constitution, nous envoya un despote nommé Durham et une armée de bourreaux pour nous égorger. Il ne connaît plus enfin de bornes à ses injustices : il veut noyer la population franco-canadienne. »

À voir en vidéo