Un combattant intègre
Frédéric Back est mort. Je l’apprends, loin de Montréal, le jour de Noël. Je pense à Ghyslaine, sa compagne, sa complice. Je pense à ses enfants. Je pense à cet homme doux, drôle, attentif et profondément humain qui vient de nous quitter.
Je ne recevrai plus ses cartes de voeux qu’il m’adressait fidèlement. Il les rédigeait dans un joyeux mélange de français et d’alsacien, ce dialecte que nous partagions comme la langue d’une société secrète dont nous aurions été les rares adhérents. Le plus souvent, nous nous téléphonions, et de temps à autre, nous allions dîner ensemble, souvent avec Ghylaine, puis seuls lui et moi, la dernière fois. Il me proposa de traverser avec lui le parc Kent où il habitait jusqu’au restaurant asiatique, en face. Il marchait difficilement, mais il n’avait pas oublié d’apporter une bonne bouteille…
Nous nous sommes connus il y a une trentaine d’années. Il venait d’obtenir son premier Oscar à Hollywood et me proposa de réaliser, à partir de son film « oscarisé », un album illustré du texte de Giono, L’homme qui plantait des arbres. Ce furent d’abord des démêlés sans fin pour clarifier la situation des droits de ce texte que Giono avait donné à un organisme américain de préservation de la nature, lequel organisme l’avait cédé à un éditeur américain depuis lors disparu ! Je pensais que la réalisation de l’album proprement dit se ferait sans problème. C’était compter sans le souci de perfection de Frédéric Back. Plutôt que de reproduire les illustrations de son film, il voulut les redessiner au bon format, sans avoir à agrandir ou à manipuler les images du film et risquer ainsi de compromettre la qualité des traits et des couleurs. Je découvris ainsi combien cet homme discret et doux était en même temps animé d’exigence et de rigueur. C’était un combattant intègre. Il connut la notoriété au Québec et la gloire au Japon. S’il fit souvent les manchettes, c’était, profondément, un homme modeste. Car plus que tout, cet homme de devoir avait le sens de l’humour. Nous ne rirons plus ensemble. Mais je resterai à jamais heureux de l’avoir connu et de l’avoir aimé.