Ministère des Transports - Non à une agence de favoristime privée
Lorsque M. René Lévesque m’a nommé ministre des Transports et des Travaux publics en 1976 — à ma grande surprise d’ailleurs —, mon mandat avait été très clair : faire disparaître le favoritisme dans ces deux ministères.
J’avais d’ailleurs été très surpris quelques jours après l’élection du 15 novembre de recevoir un appel téléphonique du directeur régional des transports dans ma région me demandant mes recommandations concernant l’engagement de la machinerie pour les travaux régionaux.
J’entrepris alors une tournée à travers les différentes régions du Québec pour m’informer sur le fonctionnement du système. J’ai rencontré tous les responsables régionaux qui, enfin, étaient heureux de notre volonté de faire disparaître le favoritisme dans l’octroi des contrats et leur soumission au petit « patroneux » et organisateur du Parti libéral régional.
J’ai donc pris des mesures pour faire disparaître ce système et établir des règles de répartition du travail et des contrats selon la compétence et les meilleurs coûts pour la population québécoise, et cela, avec l’appui des fonctionnaires. Car nous avions alors d’excellents fonctionnaires et les meilleurs ingénieurs du Québec qui étaient fiers de travailler au sein du ministère et qui ne demandaient qu’à faire profiter le Québec de leur compétence. C’est ainsi que toute la planification annuelle des travaux se faisait selon des normes scientifiques et selon les besoins des régions tout en tenant compte des demandes des députés dont c’était le travail de faire valoir leurs besoins régionaux. Les plans et devis des grands travaux étaient faits par nos ingénieurs et il était assez rare que nous ayons des dépassements de coûts exorbitants.
Responsabilité ministérielle
Ce que je veux surtout souligner, c’est que le favoritisme, il n’est pas fait par les fonctionnaires, mais par le gouvernement en place et le ministre responsable du ministère. Au moins, dans le système actuel, le ministre est toujours responsable de sa gestion devant les députés de l’Assemblée nationale. Chaque jour de session, il peut être questionné sur son administration, dont il est responsable. C’est ce que nous appelons en démocratie la responsabilité ministérielle. S’il gère mal son ministère, nous n’avons pas à attendre la vérification du vérificateur général avant d’en prendre connaissance. De plus, le ministre se sent toujours sous surveillance. Chaque année, il doit défendre son budget non seulement devant le Conseil du Trésor, mais aussi en commission parlementaire, où toutes les questions peuvent lui être posées par les députés tant de l’opposition que du parti au pouvoir.
Le ministre des Transports, Sylvain Gaudreault, vient de déposer une loi créant une Agence des infrastructures de transport du Québec (AITQ) sous prétexte de faire disparaître le favoritisme. À vouloir faire l’ange, on fait bête. J’affirme que c’est là un des pires projets de loi que le gouvernement du Parti québécois ait déposés et je demande à tous les députés, quels qu’ils soient, de s’y s’opposer.
Et cela, d’abord au nom de principes démocratiques. En avez-vous assez de vous faire enlever tous vos pouvoirs de contrôle de l’administration publique ?
En créant cette agence, on soustrait les employés à la Loi sur la fonction publique. Comme Hydro-Québec, ils auront leur propre convention collective et, ce qui est encore plus important, on soustrait ses dirigeants à la reddition des comptes de la Loi sur l’administration publique et enlève au ministre sa responsabilité devant l’Assemblée nationale. Vous n’en avez pas assez de ces administrateurs à la Charles Lapointe qui se paient des avantages faramineux avec la complicité de conseils d’administration fantoches dont le seul intérêt est d’aller chercher leurs honoraires ? Car ce sera encore une fois un organisme permettant au parti au pouvoir de placer leurs meilleurs amis, ce qui ne sera certainement pas un frein au favoritisme.
En créant cette agence, on vous enlève non seulement le contrôle d’un des ministères économiques les plus importants du gouvernement, mais aussi un puissant levier de développement régional. La construction des routes et des infrastructures routières est un instrument de planification du développement des régions qu’on ne peut laisser à des personnes sur lesquelles nous n’aurons plus à peu près aucun contrôle. Il s’agit de milliards de dollars qui doivent être répartis dans les régions du Québec avec aussi des conséquences énormes sur l’environnement.
Élus pour gouverner
Vous avez été élus pour gouverner ; notre système démocratique n’est peut-être pas parfait, mais il est le moins mauvais d’entre tous. Pourquoi, alors, le remplacer par le système bureaucratique ?
Il y a quelque temps, j’ai eu à m’occuper d’un dossier d’impôt d’une personne âgée avec l’Agence de revenu du Québec et j’ai pu constater avec quelle arrogance, quand la responsabilisation n’existe plus, on traite les contribuables du Québec. Nous aurons certainement à vivre bientôt la même chose avec le monstre que vous vous apprêtez à créer.
Pourtant, la commission Charbonneau ne nous a-t-elle pas montré ce qui arrive quand les élus délaissent leurs pouvoirs et les cèdent à l’entreprise privée ? Le favoritisme, quand il est fait par les élus, peut être jugé par le peuple lors des élections, ce qui n’est pas le cas quand il s’agit de personnes nommées pour des périodes de cinq à dix ans.
Le ministre nous dit qu’il gardera sa prérogative de choisir les projets à privilégier et pourra même aller à l’encontre des recommandations de l’AITQ, que ce soit pour les nouveaux projets ou pour le maintien des actifs. La décision ultime appartiendra au ministre, nous dit-il.
Alors, pourquoi créer une agence ? Pour placer ses petits amis ?