La déshumanisation sous-tend l’indifférence gouvernementale

Presque tous les groupes minoritaires du Québec se sont levés pour dénoncer, dans la rue, par l’entremise de lettres, de communiqués et de pétitions, le projet de Charte des valeurs du gouvernement. Ceux et celles qui ont connu et qui connaissent la discrimination se sont unis pour dire qu’ils ne mangent pas de ce pain-là, qu’ils ne savent que trop bien reconnaître les fantasmes d’homogénéité, et qu’ils refusent qu’au nom de principes en apparence nobles, l’État crée une sous-classe de citoyens. À ces groupes se sont ajoutés, entre autres, des spécialistes de la santé mentale, des sociologues, et Amnistie internationale.

 

En tant que référence en matière de discrimination, la Commission des droits de la personne a déclaré être inquiète de voir que le gouvernement banalisait les conséquences de sa Charte. Au fil des semaines, et ce, jusque dans le dépôt du projet de loi, il est devenu clair qu’il ne s’agit pas de banalisation, mais d’une indifférence complète, violente. Le gouvernement n’a manifesté aucune intention de déterminer le nombre de personnes ciblées par la Charte, ou d’enquêter sur la progression de la xénophobie et de l’islamophobie. Il n’y a pas, chez les élus du Parti québécois, même l’ombre d’un souci pour les personnes qui portent le voile, le turban et la kippa et qui risquent d’être congédiées ou d’être incapables de trouver du travail. L’ex-ministre Louise Beaudoin, quant à elle, se réjouit des nouveaux obstacles qui bloqueraient l’accès de certaines personnes aux 500 000 emplois de la fonction publique : « Je ne crois pas que toutes les femmes voilées soient des intégristes, mais je sais que toutes les intégristes sont voilées, cependant. »

 

C’est emmuré dans une logique boiteuse et dans un raisonnement circulaire que le gouvernement persiste envers et contre tous à « s’affirmer » aux dépens des minorités religieuses, sans jamais risquer même un geste pour reconnaître que le taux de chômage des Maghrébins, lorsqu’ils arrivent au Québec, est de l’ordre de 28 %. Au contraire, il semble qu’il y ait là en soi, dans l’indifférence face à l’expérience concrète et à la subjectivité de certaines minorités, un bénéfice politique à gagner.

 

Déshumanisation

 

Une telle indifférence systématique et calculée ne peut provenir que d’une déshumanisation. Les minorités religieuses aux pratiques orthodoxes sont à la fois hypervisibles et invisibles. Leurs membres ont cessé (depuis combien de temps déjà ?) d’être perçus comme des individus et ils dérangent par leur présence même. Ils sont réduits au statut de « symboles ostentatoires », et la majorité est toujours prête à leur montrer la sortie, sans aucune autre forme de procès.

 

Seule une déshumanisation active et soutenue rend possible une discrimination aussi éhontée, aussi « ostentatoire » que celle prônée par la Charte des valeurs. Comme rien ne se perd et rien ne se crée, l’indifférence du gouvernement par rapport à ceux et celles qui devront être laïcisés contre leur gré ne fait que contribuer à son tour à ce phénomène et à en (re)confier la pratique aux Québécois.

 

D’autres peut-être ont l’impression de vivre un moment surréaliste : « Ceci n’est pas une pipe. » Moment où l’on est témoin de la manière par laquelle à force d’être répétées, des aberrations bien formulées deviennent, pour certains, des évidences. Certains opposants à la Charte des valeurs ont insisté pour dire que les signes ostentatoires constituaient un faux problème. Si cela est bien vrai, non seulement la xénophobie et l’islamophobie, quant à elles, sont de vrais problèmes, mais elles constituent aussi deux des défis majeurs du XXIe siècle.

 

Après l’incrédulité et le désarroi, l’action. Réaffirmer son opposition vigoureuse aux agressions psychologiques et économiques de l’État et de ses porte-voix, et clamer haut et fort une solidarité indéfectible face à toutes les formes de répression et de déshumanisation.

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