Oui à une charte de la laïcité… avec correctifs

Il faut saluer haut et fort le courage manifesté par le gouvernement du Parti québécois dans son intention de doter le Québec d’une charte de la laïcité, dont l’une des implications serait de proscrire les signes religieux de la part des employés des institutions publiques. Une telle initiative a déjà trop tardé et il est possible que la masse de vêtements religieux qu’on peut apercevoir dans les garderies, les écoles et les hôpitaux rende impossible l’établissement d’un véritable espace civique neutre.
Tous les commentateurs qui se disent d’accord avec la laïcité, mais qui voudraient faire des omelettes sans casser les oeufs, tous ceux qui crient à la xénophobie et qui jouent les vierges offensées devant l’idée de faire primer la neutralité de l’État sur l’affichage des convictions religieuses des employés oublient que le signe ou le vêtement religieux est d’abord et avant tout un discours non verbal.
Argument démagogique et fallacieux
Quand Charles Taylor affirme que c’est l’État qui doit être neutre et que l’individu doit être libre, il avance un argument démagogique et fallacieux. Aucun employeur ne laisse ses employés totalement libres de leurs actions, de leurs paroles et de leur tenue vestimentaire dans le cadre de leurs fonctions. La loi interdit déjà aux employés de l’État d’exposer leur conviction politique et tout le monde trouve que cette limite à la liberté d’expression est légitime dans une société libre et démocratique. Comme le fait valoir le ministre Bernard Drainville, il convient maintenant d’étendre cette restriction aux convictions religieuses. Pourquoi Taylor place-t-il la liberté d’expression religieuse au-dessus de tout ?
Si le fait de porter un signe religieux n’affecte pas la nature du service rendu, il affecte la neutralité du service. Pour qu’il y ait neutralité, il faut qu’il y ait apparence de neutralité. Un État qui se déclare laïque et qui laisse ses agents libres d’exposer leurs croyances religieuses, c’est comme un établissement qui se déclare non-fumeurs, mais qui laisse ceux qui y travaillent libres de fumer. Ou encore, un organisme paroissial catholique dont les employés, au nom de leur liberté de conscience, porteraient des symboles de l’athéisme.
Le vêtement religieux est un discours très chargé. Il nous dit que la personne est croyante, qu’elle appartient à telle religion, qu’elle en pratique les rituels, qu’elle place les valeurs de cette religion au-dessus des valeurs prônées par le service pour lequel elle travaille. Et nous savons tous qu’aucune religion ne met en pratique les valeurs humanistes d’égalité des sexes et de liberté de conscience défendues par l’État québécois. Sur ce seul point, l’État est en droit d’exiger un minimum de cohérence de la part de ceux qui choisissent d’y faire carrière.
Personne n’accepterait que le préposé d’un service public porte un t-shirt avec l’inscription « Dieu n’existe pas, donc soyez athées ». C’est pourtant un discours du même ordre que nous tiennent ceux et celles qui affichent ostensiblement leurs croyances religieuses. Proscrire les signes religieux, c’est défendre des valeurs humanistes et démocratiques contre les idéologies qui prônent des valeurs contraires.
Deux erreurs funestes
Ce qui a filtré des intentions gouvernementales contient par contre deux erreurs funestes : le maintien du crucifix de l’Assemblée nationale et l’amalgame avec les « valeurs québécoises ».
Comment l’État peut-il demander à ses employés de ne pas afficher leurs croyances religieuses alors qu’il affiche lui-même un symbole religieux dans son enceinte ? Ce crucifix, par lequel Duplessis a voulu sceller l’alliance entre l’État et l’Église catholique, est le symbole même de la non-laïcité. Le premier geste à poser par un État qui se déclarerait laïque serait donc de le retirer. Quand on veut faire le ménage, on commence dans sa cour.
Pour le ministre Drainville, ce crucifix représente désormais le patrimoine historique des 300 dernières années au Québec. Quelqu’un pourrait-il l’informer que l’événement auquel se rapporte cet objet de culte est survenu il y a près de 2000 ans en Palestine ? Le concept de patrimoine est un fourre-tout qu’il faudra déblayer (patrimoine historique, culturel, architectural, naturel, religieux…) et ce n’est pas avec un discours aussi confus qu’on clarifie les choses.
Quant aux valeurs québécoises, on ne sait pas ce que cet autre fourre-tout vient faire ici. Tous les Charles Taylor et tous les Justin Trudeau du Canada pourront désormais dire que les valeurs québécoises signifient la limitation de l’expression des croyances religieuses. Devant cette démagogie, il n’y a aucun discours rationnel possible. Mais si la limitation est justifiée par la laïcité de l’État, c’est une tout autre chose qui ouvre à la réflexion.
On ne peut qu’espérer que ces deux erreurs soient corrigées dans le document d’orientation à venir.
Daniel Baril - Anthropologue et militant laïque