La laïcité inclusive est une valeur québécoise
![« Les nombreuses communautés qui font la richesse de notre ville […] ne peuvent servir d’alibi à ceux qui s’abritent derrière une laïcité pour exclure », dit le maire Lionel Perez.](https://media1.ledevoir.com/images_galerie/nwd_153191_117184/image.jpg)
Le ministre Bernard Drainville annonça au mois de mai dernier que le gouvernement déposerait après les vacances d’été un projet de loi sur une charte de laïcité établissant les balises et les normes des accommodements religieux, répondant à un engagement de la dernière campagne électorale. Rebaptisée « charte des valeurs québécoises », ce texte entend assurer la neutralité de l’État quant aux services offerts par le gouvernement et réaffirmer la notion d’égalité homme-femme.
Maire d’arrondissement, juriste et citoyen croyant dans un Québec moderne, je suis tout à fait à l’aise avec ces énoncés. Bien plus, issu d’une religion minoritaire, je préfère que l’État soit neutre envers ses citoyens. Tributaire de laïcité, la neutralité de l’État est une composante essentielle d’une démocratie libérale occidentale. En effet, elle assure la liberté de conscience et de religion et garantit que l’État n’impose aucune option politique, philosophique ou religieuse à ses citoyens. […]
Ce qui devrait nous préoccuper est la vision et la façon dont le gouvernement actuel veut mettre en application cette laïcité. Ces positions démontrent une volonté de définir la laïcité de manière rigide et sélective. Selon cette vision, l’État devra nécessairement faire le procès d’intention des motifs et demandes de ses citoyens, alors que la laïcité a justement comme un objectif de s’assurer qu’il ne revienne pas à l’État de définir pour le citoyen ce qui est religieux.
Ainsi, lorsqu’un citoyen demandera un mets végétarien pour des raisons éthiques contre l’abattage d’animaux, on l’accommodera, mais si le motif est pour satisfaire un régime alimentaire religieux, on le lui refusera ? De plus, tout symbole religieux de la majorité est évacué de sa religiosité du seul fait qu’il fait partie de la culture majoritaire non religieuse et devient autorisé parce que « patrimonial ». En revanche, toute demande semblable d’un groupe minoritaire est automatiquement libellée « religieuse ». Toute affirmation de laïcité à géométrie variable exclut, prive le citoyen de son autonomie morale et va justement à l’encontre de nos valeurs québécoises de tolérance, d’ouverture, ainsi que des droits et libertés fondamentaux.
Deux dangers
Il faut s’assurer que cette nouvelle charte ne conduise pas à un dérapage du débat identitaire qui agite notre société. Deux choses pourraient envenimer le débat : d’abord, une volonté politique insuffisante (tout parti politique confondu) ; ensuite, l’absence d’un large consensus autour de propositions qui feraient le compromis entre le respect du patrimoine historique et la nouvelle réalité pluraliste du Québec. L’enjeu nommé laïcité est d’autant plus important qu’aucune définition de celle-ci ne fait l’objet d’un large consensus au Québec. Dans le contexte où ce projet de loi sert à alimenter ce débat, le véritable enjeu est de savoir comment mettre en application une laïcité dans une société de plus en plus pluraliste avec un riche patrimoine et une longue histoire religieuse. Il nous revient donc de tracer la ligne qui doit permettre de définir les droits et les devoirs de nos concitoyens à l’une des valeurs communes sans exclure et ni créer des citoyens de deuxième classe. Pour cela, il nous faut une laïcité inclusive.
Aucune laïcité étatique n’est absolue ou ne garantit une neutralité totale. Tenter de faire croire le contraire réduit notre réalité. Par définition, aucun de nous ne peut revendiquer la neutralité de son identité, fruit d’une histoire, et la religion ou philosophie morale est une composante de toute vie humaine. Le modèle français, avec sa tentative uniformisante, ne correspond pas à la réalité ou à l’histoire du Québec, et rien n’indique aujourd’hui que la situation politique et sociale française révèle le grand succès de ce modèle - bien au contraire. Croire qu’une charte, peu importe sa nomenclature, ressoudera toutes lesdites difficultés est faire preuve de naïveté.
L’objectif d’une laïcité inclusive vise à construire un espace public véritablement pluriel, à bâtir une société qui évite de marginaliser ou d’enfermer nos concitoyens dans un moule unique, de les priver du droit à leurs choix moraux ou religieux. Bref, elle permet de construire une identité qui est à l’image de Montréal et du Québec d’aujourd’hui. Cette laïcité inclusive se fonde sur l’autonomie morale de chacun et la liberté et l’égalité d’expression de chaque option morale ou religieuse dans l’espace public, sans que celle-ci ait une emprise sur celui-ci. Ce faisant, la citoyenneté ne peut être conditionnelle à l’absence de religion ou à toute autre philosophique morale. Aucun citoyen ne devrait être forcé à choisir entre être un élu (ou un employé d’État) et porter un couvre-chef, dans mon cas une kippa, qui ne remet nullement en cause mes capacités à assurer mes fonctions.
Arrondissement multiculturel
Pour ma part, dans l’arrondissement où je suis le maire, dont la diversité culturelle constitue le coeur qui le fait battre, nous avons relevé avec succès les défis uniques pour maintenir une vie harmonieuse pour nos résidants pendant des décennies. Les nombreuses communautés qui font la richesse de notre ville et de l’arrondissement de Côte-des-Neiges -Notre-Dame-de-Grâce ne peuvent servir d’alibi à ceux qui s’abritent derrière une laïcité pour exclure. Le temps du « nous c. vous » est révolu.
Certaines de nos offres de services ont été décrites comme étant inacceptables sans autre motif qu’il s’agirait d’un accommodement dit « religieux ». Pourquoi changerions-nous des services ponctuels à des citoyens qui ne dérangent qu’une infime minorité ? Si on a pu vivre en harmonie et en cohabitation pendant des décennies sans problème, pourquoi briser cet équilibre ? Parce que cela heurte nos valeurs québécoises ?
Au contraire, je crois que les valeurs de tolérance, de respect d’autrui et d’autonomie morale sont des valeurs québécoises tout aussi fondamentales que la laïcité. Ni le ministre Drainville ni le Parti québécois n’en ont le monopole.
Dans un monde en évolution permanente où les frontières s’abaissent et les identités se mélangent, le débat sur le principe de laïcité met au défi notre capacité à vivre ensemble, à nous réunir sur les valeurs essentielles qui fondent notre démocratie afin que les revendications identitaires exacerbées ne provoquent pas repli et intolérance. La complexité de cette question impose aux élus et à l’ensemble des acteurs de notre vie publique une exigence de modération.
Force est de constater que la répétition des dérapages de certains sur les accommodements raisonnables est un facteur déstabilisant pour notre société. Au lieu de calmer le jeu, les propos et les positions de certains enflamment les passions. Bien que certains aient de la difficulté à y croire, il n’existe aucune crise d’accommodement religieux au Québec. Les rapports Fleury, Bouchard-Taylor et ceux de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse sont unanimes sur ce point.
Notre défi collectif est donc de trouver un équilibre qui nous permette de rester fidèles à notre patrimoine et à nos valeurs tout en assumant et respectant la diversité de notre société. […] Car une démocratie se juge à la manière dont elle traite tous ses citoyens - ceux de la majorité et des minorités.