Nous sommes toujours à l’ère du médecin roi

on croyait révolu le temps, au sein du corps médical, du règne du médecin roi, dans lequel infirmiers, pharmaciens et autres professionnels de la santé soutenaient le médecin patron. Or, j’ai été déçu de constater que cette approche existe toujours, en lisant l’éditorial du mois de mai du président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Louis Godin, dans la revue interne de la fédération.

 

À première vue, il s’agit d’une invitation à travailler en concertation avec les autres professionnels de la santé. Cependant, une lecture plus approfondie démontre bien que l’idée de la suprématie du médecin persiste.

 

L’éditorial fait mention de travail « multidisciplinaire », ce qui, dans la littérature, est défini comme « le travail en parallèle de différentes disciplines ». Cela implique souvent une coordination indépendante des différents professionnels, en silo, et entraîne malheureusement une structure hiérarchique. Ainsi, quand le Dr Godin écrit « c’est pourquoi nous tenons à réitérer notre souhait de voir les infirmières et les pharmaciens appuyer le corps médical dans les domaines où leur expertise est la plus utile », c’est là un bel exemple de multidisciplinarité. Travail en parallèle, hiérarchie, chacun dans ses frontières. Les infirmières et pharmaciens sont sous le médecin, l’appuient et le soutiennent.

 

Cependant, à l’heure actuelle, nous avons passé le stade de la multidisciplinarité. Nous en sommes à l’heure de l’« interdisciplinarité », voire de la « transdisciplinarité ». Dans la littérature médicale, l’interdisciplinarité signifie « l’habileté à analyser, synthétiser et harmoniser différentes spécialités entre elles de manière coordonnée et cohérente ». Cela demande de repousser les frontières traditionnelles de nos disciplines (incluant celle du médecin) et de travailler au même niveau, ensemble vers un bien commun. Transdisciplinarité : « l’intégration des sciences naturelles, sociales et de la santé dans un contexte humaniste et qui transcende les frontières traditionnelles ». Cette forme de collaboration demande d’aller au-delà des frontières, de juxtaposer ces idées, de recombiner l’information et souvent de créer de nouvelles connaissances. Avec ces deux définitions, nous sommes bien loin du modèle où un professionnel de la santé ne fait que soutenir un autre au-dessus de lui.

 

Un bel exemple d’initiative de travail interdisciplinaire et transdisciplinaire est le Tutor-PHC (Transdisciplinary Understanding and Training on Research - Primary Health Care), un laboratoire d’idéessur la recherche interdisciplinaire en santé de première ligne créé par l’Université Western, en Ontario.

 

Ce laboratoire d’idées, duquel je fais partie, comporte un volet de discussion en ligne où chaque participant présente son projet de recherche et reçoit les commentaires des participants d’autres disciplines : sciences infirmières, sociologie, médecine, ergothérapie, psychologie, enseignement médical et politique. Les frontières sont abolies et, peu importe la discipline du participant, il apporte des idées et des pistes de solution. Tout le monde discute au même niveau, selon l’expérience et le savoir que lui apporte sa discipline. Il faut mettre son ego de côté, tous s’asseoir au même niveau, écouter, partager et construire.

 

Un des objectifs du Tutor-PHC est de créer une masse critique de chercheurs de première ligne et de mettre l’accent vers la recherche interdisciplinaire et transdisciplinaire. Ces travaux de recherche pourraient nous aider à répondre à des questions complexes. Prenons un exemple : quelle serait la prise en charge optimale d’un patient avec plusieurs maladies chroniques qui vit en situation de pauvreté ? Une question complexe entraîne une réponse complexe et il est rare qu’un seul professionnel puisse y répondre.

 

Je salue ce type d’initiative où différents professionnels de la santé travaillent ensemble pour le patient et non pour le médecin. Ce type de programme serait facilement exportable dans les hôpitaux et les cliniques, à la seule condition que l’establishment médical accepte de changer sa mentalité et de concéder plus de crédit aux autres disciplines.

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