Avis aux libéraux, «la croissance n’est pas la démocratie»

Dans son discours de clôture du congrès de la Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec (PLQ), le chef Philippe Couillard a revendiqué pour son parti l’étiquette « progressiste » tout en critiquant durement le Parti québécois (PQ) de Pauline Marois, qui est, selon lui, le porte-étendard d’une « social-démocratie de pacotille » ne détenant pas les moyens de soutenir ses ambitions en matière de progrès social. Il a également affirmé que son parti a été historiquement et est encore le parti du « véritable progressisme », en vertu du principe voulant qu’une économie forte serve la justice sociale.
Pour reprendre ses dires, « [le] développement économique est l’instrument de notre solidarité. La prospérité, nous la voulons parce qu’elle permet de rendre notre société plus juste ». Si je peux reconnaître à Philippe Couillard le mérite d’aborder la thématique de la « justice sociale » (notion qui était quasi absente du discours de Jean Charest), je ne peux manquer de souligner que le chef du PLQ se méprend quant aux fondements de celle-ci et des moyens pour y arriver.
En effet, sa perspective est à mon avis erronée, dans la mesure où elle ne tient pas compte des processus de reproduction des inégalités et de la discrimination qui sont inhérents à la croissance économique. Ainsi, si elle n’est pas socialement orientée pour profiter à l’ensemble des citoyens et citoyennes du Québec, la croissance entraîne malheureusement encore plus d’inégalités. Les inquiétudes économiques de Couillard occultent les vrais enjeux du progressisme, qui dépassent la simple obsession de l’équilibre budgétaire et de la croissance économique.
Encore les baisses d’impôts
Dans cette perspective, il n’est pas surprenant que la première proposition adoptée par son aile jeunesse soit la volonté d’une baisse d’impôt pour les familles à revenus modestes ; argument de droite, s’il en est, puisqu’elle se traduira en réalité par une diminution de la capacité de l’État à offrir des services à la hauteur d’une social-démocratie digne de ce nom. Que chacun doive payer proportionnellement à son revenu, cela est incontestable, mais les baisses d’impôts ne doivent pas constituer des fins en soi. De cette façon, les libéraux, sous couvert de progressisme, s’éloignent de l’idée fondamentale selon laquelle tous devraient participer à la création d’une « richesse commune » qui profitera ensuite à chacun. Si les libéraux de Philippe Couillard se soucient réellement de « justice sociale », qu’ils assument jusqu’au bout ce que cela signifie en fait de choix de société.
Déjà en 1970, dans La société de consommation, le philosophe et sociologue français Jean Baudrillard (1929-2007) soulignait avec éloquence que « [la] croissance n’est pas la démocratie. La profusion est fonction de la discrimination. Comment pourrait-elle en être le correctif ? ».